Les nations (ou les peuples)ont-elles des racines?

Le Président Nicolas Sarkozy l'a dit: la France a des racines chrétiennes. C'est ce qu'il pense et que sa fonction présidentielle ne lui a pas interdit de dire. Le Pape Benoît XVI a renchéri. On imagine difficilement un désaveu de sa part sur cette question. Mais ces affirmations ont créé un malaise, ont été vécues comme une fermeture, au présent et à l'avenir. Car la société française n'a plus d'unité religieuse depuis longtemps . Ce sont d'ailleurs les tenants de la laïcité, ceux qui ont pris une franche distance avec LA religion, qui ont ressenti de l'agacement. Les notables des religions non chrétiennes n'ont pas protesté. Dans le "Monde" du 21/22 Septembre, c'est un lecteur, Monsieur Guy Abeille, qui s'insurge. Il ne reconnaît pas d'imprégnation du christianisme dans le mode de penser* moderne, et ne voit pourquoi on ne parlerait pas de racines royales ou de racines coloniales. Et pourtant? C'est parce que nous nous reconnaissons dans le portrait que les romains ont fait des gaulois que nous disons:"nos ancêtres les gaulois". Et, récemment, Goscinny et Uderzo nous ont offert des héros taillés sur mesure, que nous avons instantanément adoptés. Pourtant, la "vraie" France ne commence qu'à l'occasion des invasions germaniques et de l'effondrement de l'Empire Romain d'Occident. Les romains sont officiellement chrétiens depuis la fin du IVème siècle, et pendant cette période troublée, c'est l'Église, qui se reconnaît unanimement un souverain pontife, qui assure l'intérim sur le terrain. Quand Clovis et ses Francs s'assurent le pouvoir politique et militaire sur ce qui deviendra la France, ils se légitiment par leur conversion. Les gallo-romains changent de propriétaires, mais ni de religion, ni de langue. Ils ne changent pas non plus de régime politique. Une monarchie succède à l'Empire. Il faut dire qu'à cette époque, c'est ce type de pouvoir qui est le plus courant. La France possède en Europe les meilleures terres et le meilleur climat. Ces avantages naturels ont privilégié l'agriculture et l'élevage. L'économie est essentiellement rurale. On l'appelle encore aujourd'hui le secteur primaire. Essentiel, mais n'exigeant aucune qualification et de faible valeur ajoutée. Les accès de faiblesse du pouvoir royal se font au profit de la féodalité. Celle-ci s'assure le pouvoir local, qui ne se heurte qu'aux villes, qui affirment leur indépendance, garantie par le pouvoir royal. Celui-ci par moments se ressaisit et reprend le contrôle des provinces. Ces alternances de pouvoir royal fort ou faible dureront jusqu'à la Fronde. Louis XIV en finit avec l'indiscipline des grands seigneurs et impose un pouvoir royal absolu. Entre temps, au cours du seizième siècle, les guerres de religion ont désigné un vainqueur, le catholicisme. Cette version rapidement dominante du christianisme dispose d'une hiérarchie et d'un chef, élu, et elle sacralise l'interprétation des textes fondateurs, sous la forme d'un dogme. Ces bases de notre géographie**, de notre histoire, qui s'y relie, et le choix religieux, sans doute déterminé par les premiers, me semblent constituer ces racines dont on parle. La ruralité, le pouvoir centralisé et absolu, le catholicisme ont fixé notre culture et nos mentalités. Ils déterminent encore l'essentiel de nos comportements. L'exception française en est l'aboutissement, coriace et handicapant. Chaque citoyen peut s'en libérer consciemment, se construire une pensée autonome, exercer brillamment une activité secondaire ou tertiaire. Mais quand les grands nombres sont en jeu, comme pour les élections nationales, ou sur les grandes questions de société, plus particulièrement les libertés, ou encore, lorsque notre destin personnel nous parait menacé, on voit à l'oeuvre cet archaïque qui est en nous et qui n'épargne personne. Sceptique *J'approuve tout à fait cette façon d'écrire: "mode de penser", car elle rend compte des facteurs d'élaboration d'une pensée et non du "produit fini". **Notre géographie comporte une caractéristique non négligeable: l'absence d'obstacles naturels au Nord-Est. Les invasions de toutes sortes ont contribué à renforcer la dépendance au pouvoir des citoyens ordinaires.