Les hommes d'aujourd'hui se croient-ils éternels?

Les deux premiers jours de Novembre* sont consacrés aux rites de souvenir de nos morts. Il parait qu'ils s'affaiblissent, que les cimetières sont de moins en moins visités en cours d'année, que les familles ne se retrouvent plus au grand complet devant la tombe d'un ancêtre ou d'un proche. Les observateurs des sociétés humaines, les chiffres d'affaire des producteurs de chrysanthèmes* ne se trompent pas. Au moins dans notre monde à nous, l'accomplissement du rite est moins intense, quand il n'est pas, parfois, confié à un prestataire de services. Mais est-il nécessaire de rapprocher ce constat d'un autre, le souci évident des vivants de notre monde évolué, nanti, de prolonger la jeunesse de leur corps par des soins attentifs, par la recherche d'élixirs de jeunesse, par la chirurgie esthétique, pour en conclure, comme le fait le philosophe Robert Redeker, que les hommes d'aujourd'hui aspirent à l'éternité. La conscience de la mort comme "réel", en même temps "impensable", ajoutés à "l'instinct de vie" (je préfère ce terme à celui "d'instinct de conservation" qui n'en est que le prolongement) caractérisent l'humanité et marquent son émergence du monde animal. Les rites funéraires en sont la première manifestation constatable. Les fêtes se rattachent probablement à la même conscience Quant à la résistance au vieillissement, elle est bien sûr plus tardive et le fait de femmes et d'hommes tenant une place particulière dans la société de leur temps: rois soucieux de prolonger leur règne, femmes favorites soucieuses de prolonger leur charme. Cette résistance s'est démocratisée et s'est corrélée avec le développement économique, car elle est coûteuse. Même dans notre société, si elle fait l'objet d'une publicité et d'une médiatisation affriolantes, elle est réservée à une minorité. Sauf catastrophe sanitaire, la poursuite pour publicité mensongère est très rare. Elle bénéficie, comme les religions, du doute. C'est une catégorie de psychothérapie! Le fait indiscutable, c'est l'allongement de la vie pour la majorité des habitants des pays développés, et, corrélativement, de l'espérance de vie**. Mais pour quelle qualité, au bout? L'efficacité de la prévention de la mort possible, en début de vie, a atteint un tel niveau qu'elle a permis d'oublier le gâchis qui a marqué les siècles jusqu'à l'avant dernier. Les parents qui baissent la garde, par négligence ou folie raisonnante, ne sont pas trop nombreux. Les lois protègent, autant que faire se peut, l'enfant contre ces dérives, dont les échappées restent des faits divers. La mortalité infantile est devenue principalement accidentelle. L'enfant est aventureux, comme tout jeune animal. La prévalence des accidents se prolonge à l'adolescence, dont l'aventurisme s'amplifie et passe outre aux inquiétudes parentales, grâce au sentiment de toute puissance et aux pulsions sexuelles qui accompagnent cet âge. Mais, statistiquement, cette tragédie reste sporadique, et n'a pas l'impact de nos "bonnes guerres" d'entan, réputées former la jeunesse. Le déni de la mort est sûrement associé au passage par la légèreté qui marque toute vie "normale". C'est la réserve de bons souvenirs. La niche de détails croustillants qu'on peut rechercher et publier dès lors qu'un humain se dégage par sa réussite médiatisable de l'anonymat habituel. Tout ça ne fait pas la mort de la mort. Sans la mort, que ferions-nous de notre vie? Sceptique *Déjà noyés par la vague Obama **L'impact de cette espérance de vie sur le financement des retraites (quel que soit le système), est évident. Le déni opéré par ceux qui prétendent découpler ces deux faits au nom des "acquis sociaux" fait-il partie du phénomène décrit par Redeker?

Comments

[yves leclercq]

Il est paru dans le Monde il y a maintenant bien une semaine. Si je le retrouve, je vous l'envoie.

[pg]

A quel article ou texte de R.Redeker faites-vous allusion? merci.