4 juin 2009
Souffrance mentale au travail: l'affaire des "tickets-psy"
Depuis plusieurs décennies, à la suite des "chocs pétroliers", il n'y a plus d'euphorie dans les entreprises privées du monde occidental. La mondialisation et son ouverture des marchés, sa libre circulation des capitaux, l'exigence de leur forte rentabilité à court terme, ont encore plus détérioré l'ambiance des entreprises, tant de services que de production. La "pression" sur les ouvriers, les employés et leurs cadres, est permanente.
Pour toutes les activités non protégées*, la sanction économique, la faillite, est l'épée de Damoclès. Les protestations diverses n'y peuvent rien. Tous ceux qui travaillent dans le secteur privé sont continuellement obligés d'améliorer leur productivité, pour maintenir la rentabilité globale. Du haut en bas de la hiérarchie, chaque niveau exige toujours plus de celui qui suit.
"Tais-toi et rame", tel est devenu le principe d'un grand nombre d'entreprises, toutes celles, en particulier, qui ont une valeur ajoutée dans les limites imposées par la concurrence.
La période qui permettait à un salarié en conflit avec son employeur de le quitter pour un autre, est révolue depuis longtemps. Un emploi est précieux, et l'ancienneté n'est plus une garantie, au contraire. Du haut en bas, chacun est sur un siège éjectable, son déclenchement appartenant à un employeur parfois lointain ou même anonyme.
Très régulièrement, des salariés soumis à cette tension, craquent. S'ils tombent malades, leur travail manque à l'entreprise. Non seulement ils ne sont pas interchangeables, mais le droit du travail protège leur contrat, qui ne peut être interrompu pour ce prétexte (si l'entreprise est moyenne ou grande). Jusqu'à maintenant, cet absentéisme n'est pas identifié, n'est pas porté au débit de l'entreprise comme le seraient un accident du travail ou une maladie professionnelle. Pourtant, il ne serait pas difficile d'établir un classement des entreprises ou de certains de leurs services en fonction de leur taux d'absentéisme.
Par contre, un suicide, ou une série de suicides, font "désordre" et stigmatisent l'entreprise. Elle en subit une altération grave de son image. Sa direction ne peut y rester indifférente, même si elle ne voit pas où peut se situer sa faute.
La prise de conscience des dirigeants d'entreprises de la souffrance cachée de leurs cadres et salariés les a amenées à la prévention de ces dépressions graves, liées aux conditions de travail ou aux rapports difficiles entre niveaux hiérarchiques. Les médecins du travail peuvent recommander une prise en charge psychiatrique ou psychothérapique. Mais c'est alors l'offre de soins qui fait défaut.
Les psychiatres libéraux sont en nombre devenu très insuffisant et sont débordés. Les délais de rendez-vous se chiffrent en semaines, voire en mois. L'attente de prise en charge régulière est encore plus longue.
Les psychologues compétents sont par contre en nombre suffisant. Mais leurs soins ne sont pas pris en charge par l'Assurance Maladie.
Les entreprises ont donc été amenées à organiser en leur sein l'écoute par des professionnels extérieurs, de leurs employés. Car l'écoute, qui lève l'inhibition à parler, est une nécessité.
L'entreprise prend bien sûr à sa charge cette action de diagnostic et de traitement, qui se fait dans ses murs, pour les plus importantes. Mais pour celles qui ne peuvent entretenir leur propre équipe d'"écoutants", elles ont été séduites par une formule ressemblant aux tickets-restaurants ou aux tickets-vacances (plus rares), les "tickets psy", distribués par les médecins du travail aux cas qu'ils dépistent, et qui permettent des consultations auprès d'une équipe formée à cette intention.
Cette situation provoque une réaction indignée de l'Ordre des Médecins et des psychiatres patentés. Car les actions de diagnostic et d'indication thérapeutique, toutes spécialités incluses, sont encore en France réservées aux docteurs en médecine. Aucune brèche sérieuse n'a été faite dans ce principe. Même si beaucoup de professions nouvelles entament de fait ce monopole, à la charge entière de leurs patients.
Plus particulièrement dans le domaine de la souffrance psychique, la pénurie organisée de psychiatres et la formation libre de psychologues par les Universités et les diverses Sociétés de psychanalyse, de thérapie cognitivo-comportementale, systémique, et j'en passe, ont créé une situation paradoxale. L'offre de soins est en réalité abondante, mais insolvable. Car seule la prise en charge par les médecins spécialistes est remboursée par les assurances sociales.
Le "scandale" du ticket "psy" sera peut-être le grain de sable qui attirera l'attention sur cette carence de notre société, son "ignorance militante" de la souffrance mentale. J'insiste bien: c'est un trait culturel, qu'on peut qualifier de général, les différences d'une société à une autre n'étant pas majeures.
Sceptique
*Les entreprises publiques exposées à la concurrence, européenne ou mondiale, sont contraintes à la même rigueur financière, qui se répercute sur les personnels.
Publicité
Publicité
Commentaires
E
S
E
Y
P