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Sceptique
12 août 2009

Aung San Suu Kyi, héroïne birmane

Toutes les dictatures du monde, ou presque*, ont leur caillou dans une chaussure, qui les empêche de marcher sans boiter.

Certaines, périodiquement, s'en débarrassent, officieusement, en le faisant assassiner par des tueurs à gages. Cela ne dure qu'un temps car un autre apparaît rapidement, et oblige la dictature à ressortir la liasse de gros billets.

J'emploie le masculin, puisque j'ai utilisé l'image du caillou dans la chaussure, mais étrangement, il s'agit de plus en plus souvent de femmes, qui sacrifient leur existence à la cause de la liberté et de l'honnêteté en politique. Jeanne d'Arc a plusieurs émules dans le monde moderne.

Donc, la junte militaire birmane, qui tient par la force le peuple de la Birmanie, est empêchée de dormir par une frêle femme, qui leur tient tête, malgré la vie recluse qu'elle lui impose. Les généraux avaient trouvé le prétexte de l'intrusion dans sa maison d'un américain un peu barjot, venu lui exprimer son soutien, pour la remettre en prison et lui faire un nouveau procès. À leurs yeux, la résistante aurait du dénoncer son visiteur. Comme si la dignité pouvait se diviser! "Ils" l'ont finalement condamnée à dix-huit mois supplémentaires d'assignation à résidence**, dans sa maison privée de téléphone.

Ses soutiens du monde entier s'en émeuvent, et voient dans cette mesure un moyen de l'écarter, ainsi que son mouvement politique, des élections prévues pour l'an prochain, 2010.

Mais une note biographique disponible sur Internet montre que les élections de 1990 avaient été remportées avec 80% des suffrages par la Ligue Nationale pour la Démocratie, malgré le maintien en résidence surveillée de l'héroïne. Simplement, les militaires n'ont pas tenu compte des résultats, et ont réprimé par la force les contestations.

Pourquoi la dictature de l'armée birmane a-t-elle bénéficié d'une telle longévité? Le premier facteur est interne: la nature du pays permet l'existence de guérillas menées par des peuples insoumis au pouvoir central, comme les Karen. Ce qui donne une raison d'être aux militaires.

Le second est international: la junte birmane est soutenue par la Chine, qui dispose ainsi d'une "marche"*** sur son flanc sud. Et aucune puissance occidentale n'est tentée par une aventure militaire au secours d'un pays géographiquement et climatiquement pire que tout ce qu'a connu un Corps Expéditionnaire occidental, depuis la deuxième guerre mondiale. Le glorieux dix-neuvième siècle est loin derrière nous.

En France, pays rarement en retard dans la course à l'émotion, des esprits généreux proposent un sacrifice propitiatoire: obliger notre firme Total à se retirer de Birmanie, où elle exploite un gisement de gaz, qui assure une rente substantielle à la junte birmane. Peu importe la compagnie qui viendra prendre la place toute chaude, sans bourse délier. En matière de pétrole, nos bien-pensants veulent le beurre, l'argent du beurre, mais pas les charmes de la crémière! Il faut être bien naïf pour penser que cette balle dans le pied serait "bouleversifiante" pour qui que ce soit d'autre que nous.

Sceptique

*Les dictatures communistes sont inégalables dans l'art de faire taire et disparaître leurs contestataires. Elles se tamponnent de l'opinion internationale.

**Le tribunal avait été beaucoup plus sévère. Le Général qui chapeaute la Junte a réduit la peine.

***Pour l'empire romain, les marches étaient des territoires indépendants mais alliés, les séparant du monde "barbare". Les invasions de cette origine devaient d'abord franchir ces zones. Complément du 15/08/09: j'entendais hier un professeur de Sciences Po expliquer que la Chine avait une politique étrangère strictement conforme à ses intérêts. Aucune considération morale n'y a de place. Culture chinoise, ou culture marxiste-léniniste?

Note du 13 Août: je place ici un commentaire paru dans l'Expansion, sur la portée des sanctions économiques:

 

Les sanctions économiques des Occidentaux contre la junte birmane ne sont pas parvenues à affaiblir le pouvoir et se révèlent aujourd'hui contre-productives, explique Renaud Egreteau, chercheur en relations internationales, spécialiste géopolitique de la Birmanie.

Les sanctions et restrictions économiques de l'Union européenne, et plus globalement de la communauté mondiale, ont-ils un impact sur l'économie birmane?

Renaud Egreteau. Les sanctions économiques internationales mises en place par l'UE (1996) et les Etats-Unis (1997) ont aujourd'hui un impact qui est globalement contre-productif. Malgré une ouverture et une libéralisation entamée par la junte actuelle en 1988, l'économie birmane est toujours fortement encadrée et aux mains de l'élite militaire, de quelques tycoons qui lui sont proches et de communautés d'entrepreneurs venant d'Asie et commerçant donc très peu avec le reste du monde.

En plus de dix ans de sanctions ciblées, les Occidentaux ne sont toujours pas parvenus à affaiblir l'assise économique du régime militaire birman, mais ont au contraire fait peser de nouvelles contraintes sur une économie birmane encore sous-développée : faiblesse des débouchés commerciaux en Occident, absence d'investissements dans les secteurs sociaux, médicaux, éducationnels, touristiques...

Les sanctions montrent leurs limites: les dirigeants de l'armée birmane ne s'inquiètent pas outre mesure d'être interdits de visa en Europe, n'y ont aucun compte en banque (le gel des avoirs dans l'UE depuis 2003 est estimé à un ridicule 70.000 euros) et préfèrent se tourner vers Singapour, Bangkok ou Moscou. En cela, les Occidentaux ont perdu un levier d'influence considérable.

Après la condamnation mardi 11 août d'Aung San Suu Kyi, Nicolas Sarkozy a souhaité des sanctions en particulier dans le domaine du bois et des rubis. Ces deux produits sont-ils stratégiques pour l'économie birmane? La Birmanie ne tire-t-elle pas la majorité de ses revenus du gaz ?

Les sanctions dans le domaine du bois et du rubis existent déjà depuis 2003. Mais cela ne fonctionne pas. La Birmanie est riche en ressources minières et forestières, mais elle les vend quasi exclusivement a ses voisins. Ce sont les Chinois qui achètent le jade, les Indiens le rubis, les Thaïlandais le bois... On est très loin des circuits occidentaux. Menacer de nouvelles sanctions dans ces domaines est un coup d'épée dans l'eau, certes symbolique, mais inefficace étant donnée la configuration des flux économiques birmans. Le secteur du gaz naturel offshore est de loin le plus lucratif pour la Birmanie qui vend aux plus offrants ses parcelles et droits d'exploitation.

La présence de Total en Birmanie est toujours aussi controversée. Si le groupe pétrolier se retirait du pays, cela aurait-il un impact ? Total peut-il faire pression sur la junte birmane? Que rapporte l'exploitation du pipeline de Yadana à la junte birmane?

Le débat est loin d'être nouveau. Si Total se retire, l'impact sera essentiellement symbolique encore une fois. Cela apportera une satisfaction aux Occidentaux et aux mouvements exilés, mais ne règlera pas le problème de Yadana qui sera toujours exploité par les Thaïlandais de la PTT-EP qui achète 80% du gaz exploité par Total, et qui reverse environ 300 millions de dollars de revenus annuels sous forme de taxes à l'Etat birman. Les moyens de pressions de Total sont de plus en plus limités étant donnée la concurrence farouche qui se dessine avec l'arrivée en force de compagnies pétrolières chinoises, indonésiennes ou russes sur le marche birman...

Total affirme que sa présence en Birmanie s'accompagne d'un projet économique et sociale en faveur de la population, et que s'il quittait la Birmanie, d'autres groupes viendraient exploiter le gaz sans investir dans le développement. Est-ce une réalité?

Il y a en effet fort à parier que ce qui est souvent perçu comme un dédouanement de Total (construction de cliniques, routes, écoles, puits, poulaillers...), uniquement destiné à améliorer son image, se trouverait supprimé par l'éventuel repreneur thaïlandais ou chinois en cas de départ de l'entreprise française. Après tout, nombre de Birmans apprennent le Français pour pouvoir y travailler et font la queue pour trouver un emploi devant le siège de l'entreprise à Rangoon...

 

 

 

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