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Sceptique
13 septembre 2009

L'Art, l'Inné, l'Acquis

Nous nous moquons volontiers d'un travers de la société américaine, le besoin de religion. "Aux États-Unis, vous pouvez avoir n'importe quelle religion. L'essentiel est d'en avoir une." Et il est vrai que là-bas, les athées se cachent.

Je vais sans doute en faire hurler plus d'un. En France, nous prenons le même chemin, avec cette différence que chacun veut imposer sa croyance aux autres, éventuellement par la force, s'il résiste trop. "Nous croyons", ou "nous ne croyons pas". Nous n'avons pas à démontrer ce que nous croyons, ou pourquoi nous ne croyons pas. Et que les autres ne se fatiguent pas à nous démontrer que nous nous trompons.

Cette réflexion m'est inspirée par une page de l'écrivain Pierre Assouline dans le supplément du Monde de cette semaine. Il rappelle que la France est le seul pays du monde où on n'enseigne pas l'écriture "littéraire". "On n'apprend pas à être écrivain, on l'est ou on ne l'est pas". Je me souviens que lorsque j'ai commencé à écrire, pour mon plaisir, comme on pratique un art en amateur, un de mes fils m'a fait remarquer que c'était bien tard, et que si je ne l'avais pas fait avant, c'était par manque de dispositions.

Donc, Pierre Assouline a eu l'occasion de découvrir, en participant à un jury, que dans la petite Suisse, dont nous nous moquons volontiers en imitant l'accent traînant des vaudois, être écrivain est un métier qui s'apprend, et qui oblige à une conscience professionnelle au profit des lecteurs. Rien de tel, effectivement, chez nous, où l'écrivain est évalué par l'éditeur, après lecture d'une page, peut-être moins. Après l'éditeur, qui a quand même du "pif", et n'a pas envie de prendre trop de risques, c'est le succès ou le bide. Le succès fait les succès suivants. Le bide, si l'éliminé insiste, aura beaucoup de petits frères.

S'il est évident que des facilités, en dessin, en chant, en acquisition du langage, vont séduire, peut-être, les parents ou les éducateurs rencontrés en dehors de la famille, et exercer leur pression en faveur d'un investissement sérieux du "don", l'essentiel du talent artistique sera du au travail d'apprentissage de la discipline choisie. La maîtrise de l'outil est la condition de la perfection. Certains arts peuvent se permettre quelques modestes libertés avec cette dernière, car ils s'adressent aux moins exigeants de nos sens, comme la vision. Mais notre oreille est très exigeante, vis à vis de la musique, et la lecture doit permettre de comprendre l'écrit. Chaque mot est comme le code d'une carte bancaire. Malgré la capacité de notre cerveau à rectifier l'orthographe ou la syntaxe, si le "travail" remplace la jouissance, le livre tombe des mains. La rencontre entre l'écrivain et le lecteur se fait sur un terrain très étroit, en fait. La possession de la langue doit être proche de l'égalité. La crise de la lecture vient plus de la demande que de l'offre. Pour lire, il faut savoir lire. Pour écrire, il faut savoir écrire. Des deux côtés, l'exigence est égale.

De la conviction française selon laquelle la pratique d'un art résulte d'un don, il résulte que personne ne s'étonne qu'un français écrive bien en français. Si ce qu'il écrit a du succès, il a le "don". Oublié le laborieux et génial Gustave Flaubert! Il est donc plus intéressant de se pencher sur les écrivains d'origine étrangère qui écrivent directement dans la langue qui est leur passion. Je me souviens du premier ouvrage publié en France par l'argentin Hector Bianciotti. Sa langue était d'une richesse incomparable à ce que s'autorisait la littérature française de l'époque. Elle témoignait d'une passion dévorante pour la langue française. Quelques autres noms se bousculent, le tchèque Milan Kundera, le russe Andrei Makhine, le marocain Tahar Ben Jelloun...

Dans bien d'autres domaines de la connaissance et de la créativité humaine, notre système de croyances l'emporte sur la curiosité, l'analyse, la réflexion, la critique, et surtout, la tolérance. Même la science est contaminée par le virus de la croyance, au détriment de la démonstration vérifiable et reproductible. La vérité se détermine de plus en plus aux voix, comme en politique. Si les voix ne suffisent pas, l'expédition punitive devient un devoir des bien-pensants. Les hérétiques sont stigmatisés, exclus, méprisés, insultés.

Sceptique

 

 

 

 

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Commentaires
V
Là, mon cher Yves, tu soulèves ce grand problème des sociétés contemporaines, la tyrannie de l'opinion (la doxa dirait Platon) de la majorité, opinion fondée sur des faux semblants et un vécu forcément limité et circonscrit. "La vérité des voix" s'oppose à une vérité douloureusement acquise par des voies moins accessibles au grand nombre. Pas besoin d'être élitiste pour soutenir cela, car comme tu le soulignes si bien, à propos de l'écrivain, l'acquis vient renforcer et cultiver l'inné, lui donner un nouvel essor et le propulser souvent à des sommets qui ne seraient jamais atteints sans l'effort conscient. Si le don fait partie de notre patrimoine, génétique ou autre, de nos prédispositions, pour être moins pompeux, l'amour de l'excellence vient après et ça...s'apprend!
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Sceptique
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