"Pas de liberté pour les ennemis de la liberté"?
On sait combien cette proclamation de Louis de Saint-Just a été mal reçue par ses contemporains, et restée gênante pour leurs descendants, même convaincus du bien fondé de la Révolution et de l'instauration de la République.
Il y avait dans la pensée de Saint Just une dérive dictatoriale, sacralisant l'interprétation des jacobins et de leur meneur, Maximilien Robespierre. Les adversaires des jacobins n'étaient pas des défenseurs de la monarchie. Ils n'étaient pas ennemis de LA liberté, mais de celle, restrictive, des chefs de la Terreur.
Comment peut-il y avoir des ennemis de la liberté? Cette valeur n'est elle pas défendue, ou espérée, par tous les peuples du monde?
Et bien oui, il y en a, et même, chacun de nous l'est un peu, de temps en temps. Dans un premier mouvement, nous n'acceptons pas tous les modes d'expression de la liberté. Nous en réprouvons certains, et nous disons, à nous-mêmes ou à d'autres: "il faudrait interdire ceci ou cela." Notre esprit, imprégné d'un catholicisme qui met ses principes au dessus des lois et des contingences humaines, en a gardé ce réflexe:"la liberté, oui, mais pour quoi faire?" ou même, ce risque de dérive:" tout ce qui sera permis deviendra obligatoire!"*
Mais il existe des individus et des idéologies qui sont ouvertement ennemis d'une autre liberté que la leur.
Les premiers, comme les pédophiles, les pervers, et les paranoïaques, considèrent comme nulle et non avenue la liberté de leur proie. Leur prise de possession est totale, sans réserve. Ils disposent, en toute bonne conscience, de la vie de ceux dont ils décident qu'ils ou elles leur appartiennent.
Les secondes, représentées par leurs militants actifs, mettent leur idéologie, de quelque nature qu'elle soit (religieuse, politique, sociale) au dessus de toutes les lois ordinaires. La liberté définie par ces lois est leur ennemie. La seule liberté permise est l'adhésion à la valeur supérieure désignée. La guerre contre la liberté "abstraite" est légitimée.
Cette question se pose de nos jours beaucoup plus souvent qu'on ne le pense. Les sociétés libérales sont exposées à des attaques en proportion du degré de liberté qui constitue leur minimum. Elles sont toujours surprises lors de ces attaques, et doivent prendre des dispositions restrictives de la liberté pour mieux la défendre? Ce qui n'est pas sans poser des problèmes éthiques peu supportables.
Il y a en effet une contradiction entre la liberté et les mesures de police à prendre contre ses adversaires: fichage, écoutes, filatures, vidéo-surveillance. Les fichages ont particulièrement mauvaise réputation. Leurs critères d'inclusion sont préventifs et donc discriminatoires au sens propre du terme. Les défenseurs de la liberté se mobilisent contre les projets de perfectionnement de ces fichiers.
Dans les pays imprégnés de tradition libérale, la garde baisse vite. L'épisode récent de Fort Hood, aux États-Unis, où un officier musulman en partance pour l'Irak a tué à l'arme automatique treize personnes, civiles et militaires, présentes dans ce camp d'entraînement et de préparation, a surpris tous ceux qui n'étaient pas informés des états d'âme du meurtrier. L'enquête a montré que le FBI avait l'oeil sur le médecin militaire, en raison de ses relations avec un imam fanatique, et de certaines de ses présentations à l'occasion de conférences. Il était déchiré entre son statut de militaire américain et sa religion musulmane. Le FBI, par un réflexe de respect humain, n'a pas signalé ses constatations au commandement militaire. Le choix de l'homme a soudain basculé du côté de la religion. Entre temps, aussi, l'obsession anti-terroriste d'une Amérique frappée durement le 11 Septembre 2001, avait faibli, sous le poids moral des excès de la répression.
En France, la division entre les tenants de la sécurité et ceux des libertés a le même trajet que la division politique. Ce qui oblige la majorité à travailler dans une grande discrétion, confinant à la dissimulation, toute demande de mesures adaptées à la menace étant attaquée au nom des libertés. Nous avons la chance, pour combien de temps, de ne pas subir d'attentats. La vigilance des professionnels de la sécurité y est sûrement pour quelque chose.
Sceptique
*La contraception, l'IVG, devaient entraîner l'effondrement de la natalité, le pacs serait le statut de tous les couples, et toutes les femmes seraient plaquées. L'euthanasie permettra la mise à mort de tous les vieux, par cupidité. J'en oublie sûrement.
Note du 27 Novembre 2009: Une information en provenance du Mexique a sa place dans cette réflexion sur la liberté des personnes et leur dénégation criminelle: dans ce pays, le machisme a pris des proportions effarantes, et la sécurité des femmes y est particulièrement précaire. Pour éviter les pincements de fesses et autres attouchements ciblés, les rames de métro sont interdites aux hommes aux heures de pointe. Depuis dix ans. Et ce n'est pas encore suffisant. 67 bus sont réservés aux femmes. Les hommes n'y sont admis qu'accompagnés d'un enfant. Les viols de femmes dans les taxis, par leur chauffeur lui-même sont d'une fréquence sous estimée. Ce qui a favorisé la création de taxis conduits par des femmes et réservés aux femmes, de couleur rose bonbon. Comme l'explique une responsable, "ces initiatives répondent à un vrai besoin, dans une société où les hommes pensent que le corps des femmes leur appartient."