Haïti: "cachez moi ces morts, laissez-moi dormir!"
Qu'une ville grouillante comme Port-au-Prince soit aplatie en quelques dizaines de minutes par un tremblement de terre dans sa forme la plus méchante, pouvons-nous l'imaginer, à Paris ou dans n'importe quel village de notre France bien tranquille(sous ce rapport)? Non, bien sûr. Il y a cent cinquante ans, avant l'invention du télégraphe, nous n'en aurions rien su, et pas un franc ne serait sorti de nos poches.
Mais avec cent cinquante ans de plus, le monde vient nous attraper par le col et nous oblige à constater, en temps réel et à chaque fois, le malheur qui frappe, de ci, de là, une ville, un pays, qui n'est pas nous.
Alors, notre émotion se déclenche, et se soutient des images qui arrivent et qui passent en boucle à l'heure de tous nos repas. Les émeutes pour s'arracher les colis jetés d'hélicoptère, les cadavres déposés dans la rue et qui pourriront plusieurs jours avant d'être enterrés, les blessés qui attendront pendant le même temps les soins, que ne pourront prodiguer des hôpitaux détruits et des médecins morts.
Les gouvernements réagissent les premiers, dépêchent leurs unités de protection civile, leurs services de santé militaires. La bousculade dans l'espace aérien, désorganisé, de la victime, pose vite un problème. Quelques avions doivent aller se poser ailleurs. Pour chaque pays intervenant, la note sera payée sur le budget, et remboursée sous forme, quasi invisible, d'impôts.
Mais à côté des gouvernements, il y a les organisations humanitaires non gouvernementales, qui constituent, dans leur majorité, l'honneur de notre civilisation, promise à l'enfer en raison de sa richesse. Et les ONG caritatives, humanitaires, les nantis petits et grands des "pays développés" connaissent leurs besoins d'argent. Les euros et les dollars affluent sur leurs comptes. On peut en être sûrs, il y aura, au bout du compte, beaucoup d'argent versé. Il s'en perdra une certaine quantité? C'est possible. Mais l'argent est un fluide, qui se rit des doigts qui cherchent à le saisir.
Quand même, nous avons nos Harpagons, qui s'écrient:"mais que font nos euros dans cette galère?", et , puisant dans leur mémoire, sinon dans leur poche, ils ressortent la liste de tous les tremblements de terre meurtriers qui ont frappé sans avertissement, ces dernières années, les zones "sismiques" de notre planète. Parmi lesquels, le tsunami de Noël 2004, dont la puissance a frappé toutes les rives de l'Océan Indien. Des tas de morts anonymes, qui font la une des journaux, imprimés ou télévisés, pendant des jours et des nuits, jusqu'à ce que l'Audimat donne l'alerte.
Ils ne crient pas "ma cassette, on m'a volé ma cassette!" C'est usé, honteux, ridicule. Non, ils retournent leur égoïsme en "charité bien ordonnée commence par soi-même", dans son acception la plus "cartiériste"*.
"Nous avons nos pauvres, nos SDF, au profit desquels notre société ne parvient pas à réunir les fonds nécessaires. Qu'avons-nous à nous occuper de ces morts et de ces survivants si loin de chez nous?"
"Mon indifférence, diffuse l'un d'eux sur Internet, poubelle des méchants de la terre,"je suis sûr que beaucoup la partagent". Ce sont les "médias"(pour résumer sa pensée), qui vivent du sensationnel, surtout malheureux, du catastrophique, et en pratiquent la vente forcée à domicile.
La conviction qu'on peut retirer de ces propos venimeux, clamés "urbi et orbi", c'est que la méchanceté humaine ne connaîtra jamais la crise, que sa diversité n'est pas menacée.
Sceptique
*Définition d'un mode de penser résumé par la formule de Raymond Cartier, journaliste à Paris-Match,"La Corrèze avant le Zambèse". Ce n'était pas un méchant, et il a du regretter cette gloire encombrante. Scripta manent!