Ascenseur social bloqué? "Tout le monde descend!"

L'inconvénient des "pavés dans la mare", c'est que les remous, les ondes secondaires, qu'ils provoquent, ne facilitent pas le jugement impartial sur l'objet initialement visé.

Dans le Monde daté du 22 Janvier, Monsieur Pierre Veltz, enseignant à Sciences Po et à l'École des Ponts*, revient sur la question des Grandes Écoles et sur le reproche qui leur est fait d'être élitistes et d'aggraver, par leurs exigences, ce caractère des filières. Monsieur Pierre Veltz en est sûrement lui-même le produit, mais il semble s'être converti à "l'égalitarisme", déviation religieuse de l'égalité des chances. Laquelle, il est vrai, en a pris un coup ces dernières décennies. Mais avant de la restaurer, il convient d'analyser posément les raisons de cette d éfaillance.

Il y a bientôt soixante ans, malgré mon désir, mon goût pour les sciences et les techniques, je me suis fait une raison: je n'avais pas l'agilité nécessaire en mathématiques, je n'aurais jamais pu faire partie des élus. Mais, d'une part, aucune rancune envers le système ne m'a jamais effleuré, et je n'ai jamais ressenti ceux qui pouvaient assumer les classes préparatoires, comme appartenant à une classe sociale différente de la mienne. Ils ne se caractérisaient que par leur facilité en maths et une juvénilité aux aguets de toutes les bêtises et insolences, loin encore d'être légitimées par Mai 68. Oui, ils me paraissaient moins mûrs que leurs condisciples besogneux.

Que s'est-il passé pour qu'à notre époque, ces classes préparatoires paraissent réservées aux enfants "nés coiffés"** et accessoirement forts en maths? Cette "force en maths" est toujours un élément qui ne ment pas. La résolution d'un problème est une résolution exacte, en aucun cas une approximation. La phraséologie qui accompagne l'alignement des calculs pourrait peut-être être jugée, car elle souffre probablement, maintenant, des approximatives orthographe et syntaxe qui affectent les jeunes français parvenus à ce niveau. Mais, mettons-nous un instant à la place d'un correcteur d'un concours: entre un résultat juste maladroitement amené, et une démonstration élégante mais fausse, il ne peut guère balancer. Comme il y a sûrement des ex-aequo à l'issue des épreuves scientifiques, le classement final récompenserait la qualité de l'expression française, de la culture générale.

Le rêve des réformateurs du système, et Monsieur Pierre Veltz le partage, c'est d'élargir sa base, en supprimant les prépas, obligeant ses futurs amateurs à passer par les premières années de fac, d'accès totalement libre. La base serait effectivement élargie, débouchant sur deux issues possibles. La première serait le maintien du niveau d'exigence en mathématiques et en sciences, et celui d'assurer l'avenir professionnel des admis, conditionné par la réputation de la formation et la demande du marché. La proportion d'admis serait alors ridicule, déprimante, propre à faire fuir les candidats. La seconde serait l'ajustement de l'admission au nombre de candidats, créant au contraire une pléthore d'admis, se partageant locaux, professeurs et laboratoires. Partageant aussi une offre de postes inférieure au nombre de demandeurs, sans compter la défiance des entreprises tenues le plus souvent par des anciens élèves. On m'objectera sûrement que l'égalité devant le chômage aurait, par définition, tous les mérites de l'égalité.

Un ascenseur social sans portes palières, ça sert à quoi?

Sceptique

*École des Ponts et Chaussées, autrefois une des écoles d'application de Polytechnique.

** "nés coiffés": les nouveaux nés ayant gardé sur leur crâne un fragment de la membrane amniotique qui les enveloppait "in utero", étaient considérés comme chanceux, ce qui devait leur valoir une attention particulière. Pour un enfant, c'est toujours bon à prendre. "Être né avec une cuillère d'argent dans la bouche" est équivalent en terme de chance, mais concerne la famille et non l'individu.