France-Algérie: en "stand-by".
Les relations entre la France et l'Algérie connaissent des crises périodiques et profondes. je pense qu'il faudra encore beaucoup de temps pour qu'il en soit autrement.
La guerre qui a abouti à l'indépendance de l'Algérie en 1962 (bientôt cinquante ans) a été féroce des deux côtés. Les illusions des politiques français et des pieds-noirs de toutes conditions ont constitué un facteur d'incompréhension bien avant le déclenchement du conflit armé, et l'ont radicalisé. Tout sentiment est réciproque. Souvenons-nous du mal éprouvé par les français, invités à ne plus considérer les allemands comme des ennemis héréditaires. Le Parti Communiste Français fut le plus ardent à défendre le devoir de haïr. Il y trouvait son intérêt. Le Parti Gaulliste, le plus riche en anciens compagnons du Général De Gaulle, fut au contraire le plus confiant dans la politique de réconciliation avec la nation allemande de l'époque, limitée à sa partie occidentale, démocratique, prospère, et séduisante par son efficacité.
La réconciliation franco-allemande ne concerne vraiment encore que les jeunes générations. Les anciens combattants de 39-45 sont de moins en moins nombreux, ceux de 14-18 ne sont plus de ce monde. Cependant, l'État s'oblige à entretenir les rites du souvenir des deux guerres mondiales, dont la première fut une terrible boucherie. Les jeunes adultes ne participent plus à ces cérémonies.
En ce qui concerne la guerre d'Algérie, qui a mobilisé des centaines de milliers de français, maintenant septuagénaires ou octogénaires, il ne subsiste pratiquement pas de sentiment "ancien-combattant". Les français de métropole n'ont que modérément adhéré au conflit, et n'ont fait que leur devoir de soldats, se dépêchant de tourner la page, dès la fin de leur temps. Par contre, pour les pieds-noirs, combattants ou contraints à l'exil en 1962, la nostalgie et la rancune sont encore vives. Que leurs descendants ne les partagent pas, c'est sûr. Mais ils respectent la souffrance de leurs parents. Le poids politique des exilés d'Algérie est maintenant faible. Il n'influence pas la politique de la France à l'égard de l'Algérie.
Pourquoi l'état d'esprit n'est pas le même de l'autre côté de la Méditerranée? Pour deux raisons, me semble-t-il. La première est que le pouvoir politique est toujours entre les mains des anciens combattants de la guerre d'indépendance, à commencer par le Président Bouteflika, ancien membre du gouvernement en exil. La deuxième, j'ose le dire, est l'échec global de ce pouvoir non renouvelable, coupé d'une grande partie de la population, surtout de la plus jeune et de la plus pauvre, malgré la manne pétrolière et gazière. Ne se maintenant que par la force, la censure de la presse, et le bourrage de crânes. Faire porter la responsabilité de l'échec par l'ancien colonisateur et orienter la rancune contre lui, sont des exutoires commodes.
Les gaffes commises de notre côté, comme les doutes sur les circonstances du meurtre des moines de Tibéhirine, et la mise en cause de l'armée algérienne, ou plus récemment, celle de notre Ministre des Affaires Étrangères, disant tout haut ce que tout le monde, y compris en Algérie, pense tout bas, entretiennent une bouderie du côté du gouvernement algérien. On ne voit pas en quoi il pourrait en être gêné. Ce sont les français qui sont demandeurs de marchés.
L'effort de l'humanité, de plus en plus consciente de l'inanité des guerres, de leurs invasions, de leurs massacres, de leurs cicatrices, pour remplacer les rapports de forces par des rapports de droits, a déjà produit des effets spectaculaires, mais n'a pas aboli, effacé, les tentations belliqueuses, dans l'espace du monde, dans le temps présent et à venir. En ce qui concerne le passé, que nous en soyons conscients et maintenant capables de jauger sa vanité, il fait partie de l'histoire de l'humanité, de la violence de l'être humain. Son progrès, arraché à lui-même, c'est la capacité à être pacifique, tolérant, sans rancune. Ce n'est pas un retour à un état primitif, mais au contraire un mouvement vers un progrès, consommateur de volonté.
Soyons donc patients, confiants, et vigilants quant à la justesse de nos sentiments.
Sceptique