Jean Arthuis, Jacques Julliard, Luc Ferry....
Jean Arthuis était l'invité, Jeudi dernier, de Politiquement show. Sénateur, et rescapé, comme tel, du naufrage du Centrisme, brisé sur les écueils de la Présidentielle, en Mai 2007. Renommé pour sa compétence en économie et en finances, Jean Arthuis, personnage plutôt austère, s'est cependant présenté comme un possible restaurateur d'un centrisme qui ne serait, ni maladivement anti-sarkozyste, ni engagé dans la mouvance de l'UMP. Interrogé sur la délicate question du "bouclier fiscal", il n'a pas caché son désaveu de la mesure phare du quinquennat, mais il a ajouté qu'il était tout autant favorable à la suppression de l'ISF. Sa démonstration était impeccable, tant sur l'isolement de la France à propos de ce dernier impôt, que par l'utilisation perverse de l'un et de l'autre. À ce point précis, j'ai eu le sentiment d'une naïveté, vraie ou fei nte: il est dans notre culture française une quasi obligation de frauder toutes les lois fiscales, sans exception. Le conseil en la matière est une vraie profession.
Si l'attaque contre le bouclier fiscal était dans l'air du temps, et bien-pensante, l'idée d'une suppression dans la foulée de l'impôt sur la fortune a provoqué une réaction des deux journalistes participant à l'émission, Alexis Brézé, et Christophe Barbier. Tous deux ont objecté la fonction symbolique de cet impôt, qui, dans l'imaginaire des français, est le trop-plein qui évacue les excédents de fortune vers leur propre poche. Les reproches sont venus des professionnels de la politique, Jérôme Jaffré et Olivier Duhamel:" pour une fois qu'un politique, élu, affichait une volonté politique, les journalistes les mettaient en garde contre toute audace". Mais les journalistes ne font que rapporter ce qu'ils reçoivent de leurs lecteurs, lesquels reprennent en choeur les invectives de l'opposition contre leurs ennemis de classe, patrons, financiers, banquiers, sociétés du CAC 40. Même s'il serait raisonnable de s'inspirer de nos partenaires de l'Europe, surtout de ceux qui se portent mieux que nous, en matière fiscale, tout gouvernement français rencontre l'hostilité viscérale de la partie violente de la société, dès qu'il veut remédier à nos entêtements bornés. Du coup, le fin Jean Arthuis ne faisait plus le poids.
Ce matin, c'est au dialogue entre Jacques Julliard et Luc Ferry que j'ai eu la chance d'assister. Ces deux intellectuels font ensemble un bon travail d'éclaircissement, en s'opposant courtoisement. Jacques Julliard a un point de vue de centre gauche, tandis que Luc Ferry appartient à une droite raisonnable. Il n'était donc pas surprenant que Jacques Julliard désavoue le bouclier fiscal, au nom de la solidarité nécessaire des plus riches envers un pays en crise, tout en admettant la maigreur du manque à gagner de l'État, tandis que Luc Ferry répartissait en deux catégories les performances du président: efficace dans les circonstances importantes (les crises internationales, économiques, financières et politiques), et moins dans les petites affaires. Comme cette question de la fiscalité. Julliard désapprouvait le style de notre président, ne lui trouvant pas fière allure en le comparant au très "british" Obama. Soulignant au passage que le Président américain ne semblait se soucier que des intérêts américains, qui ont grand besoin de ses soins, effectivement. Luc Ferry partageait cette évaluation d'un Obama "isolationiste", nationaliste, qui larguait même la "special relationship" américano-britannique, datant de la guerre 39/45.
Un retour en arrière est nécessaire. Avant l'élection de Nicolas Sarkozy avec le programme que l'on sait, qu'il a mis en oeuvre, et auquel il s'accroche, la France post gaullienne décrochait inexorablement du grand jeu mondial. Une industrie de moins en moins compétitive, une ascension ou une stagnation du chômage, une inégalité manifeste entre le secteur public, à statut protégé, et le secteur privé, s'aggravant au cours des ans en raison d'un différentiel criant entre les moyens de défense, une incapacité de faire bouger le système de retraites du privé, menacé par les évolutions démographiques et économiques, la voracité de toutes les parties prenantes aux finances de l'État, la situation d'états dans l'État des divers services ou institutions publiques. Les lycéens et les étudiants passaient le plus clair de leur année à manifester dans la rue. En bute à ces oppositions catégorielles, formant des coalitions mouvantes, le gouvernement de la République s'aplatissait devant les grèves et les émeutes. L'essentiel était de ne pas perdre le pouvoir théorique. Il ne faut donc pas oublier que l'élection de Nicolas Sarkozy répondait à une situation de dégradation inquiétante du civisme et de la cohésion nationale. Mais 53% des suffrages exprimés, c'était un peu court, car sa challengère avait rafflé pas mal de suffrages ne venant pas de la gauche. 53 contre 47, c'était la photo d'une division de la nation, qui ne demandait qu'à se faire haineuse et violente.
Il parait que maintenant c'est 54 contre 46 (l'opinion favorable dont bénéficie François Fillon, le Premier Ministre), et un peu plus de 30% pour le président, encore responsable du pays pendant deux ans. Ce qu'on sait, c'est que l'opposition revenant au pouvoir, ne fera rien en faveur de l'entité abstraite "France"*. Elle est installée confortablement dans la structure féodale recréée par la décentralisation. Elle sera paralysée par ses notables locaux, comme il le font déjà, avec la bénédiction de leurs partis. Elle ne reviendra pas sur les réformes engagées par Sarkozy, mais elle ne reprendra pas à son compte celles qui ne seront pas achevées. C'est pourquoi il est nécessaire que la constitution soit respectée, et que ses règles de légitimité le soient aussi. Ce minimum de stabilité politique de cinq ans nous est nécessaire. Il est le correctif de ce qui manque profondément à notre société, la tolérance, un véritable esprit démocratique. Nous avons la guerre civile dans la peau, et la reconnaissance honnête de ce défaut doit nous obliger à accepter ces règles du jeu. Nous avons payé très cher dans notre histoire nos divisions politiques.
Sceptique
*Seuls les salariés des services publics, et un peu moins, ceux du privé l'intéressent. Les "autres" n'ont qu'à se taire.
Post-scriptum du 4 Avril 2010: La lecture tardive du "Monde" daté du 31 Mars, me fait découvrir un article intitulé:"Le PS s'efforce de maintenir son unité à l'approche de la réforme des retraites", et en sous titre:"Les socialistes ne sont pas pressés d'ouvrir un débat qui risque de les diviser." En effet, l'éventail des positions socialistes est très ouvert. De Manuel Valls le pragmatique, à Henri Emmanuelli, "négationniste", pour lequel, sans la crise, il n'y aurait aucun problème de financement des retraites. Position surprenante. Le problème est sur la table depuis des années. Chômage, entrée tardive dans les carrières, sortie prématurée, allongement de la durée de la vie, tous ces paramètres concourent à mettre en péril le meilleur des systèmes de retraite, la répartition. Qui a cependant besoin d'un rapport correct entre le nombre des cotisants, et le nombre d'allocataires. Et ce rapport tend vers 1, en attendant de passer en dessous (de 1)!
Comment peut-on être si buté?