"Hors-la-loi", le film
Il y a eu suffisamment de messages indignés, d'appels à manifester, de pétitions, de lettres ouvertes à des destinataires que je n'ai pas retenus, arrivés dans ma messagerie, pour que je sois averti de l'arrivée de ce film.
On ne peut pas demander aux algériens d'avoir la même vision de l'histoire que nous. On ne peut même pas demander aux français d'en avoir une vision consensuelle. À propos de la guerre d'Algérie, les points de vue des "français de France" et des "français d'Algérie" ne sont pas conciliables.
Un mot sur le titre du film. "Hors-la-loi" est l'appellation que notre juridisme a collé aux maquisards algériens qui refusaient "notre Loi". Laquelle loi, il faut le reconnaître, faisait d'eux des citoyens de second rang, ayant plus de devoirs que de droits. Et, face à eux, notre armée a du rapidement se mettre "hors-la-loi", elle aussi. À tous points de vue, y compris celui des "lois de la guerre".
Nous avons eu beaucoup de mal à sortir de la fiction, et, pour ma part, je reconnais au Général de Gaulle le mérite historique, sinon moral, de nous y avoir obligés. Nous étions à l'époque sans État digne de ce nom. Il a commencé par le rétablir.
Cette époque, les années soixante (du siècle dernier), marque la fin de toutes les aventures coloniales de l'Europe, grande partie de "jeu du couteau"* qui lui a permis de se partager le monde qui restait à conquérir. Par rapport à la conclusion de la première période de découvertes, de conquêtes, de colonisation, celle des Amériques, il y avait, en apparence, une importante différence. Aux Amériques, c'étaient les colons qui avaient chassé les pouvoirs lointains et affaiblis, qui les avaient installés trois siècles plus tôt.
La fin de cette deuxième vague de colonisations, qui avait débuté au dix-neuvième siècle, dans le contexte d'une révolution industrielle qui nous avait donné le différentiel de puissance(technologique) et de besoins (en marchés, en matières premières), aboutit, au contraire, à ce que ce sont les colons qui furent chassés par les colonisés. Un phénomène de prise de conscience, de part et d'autre, de l'incongruité du phénomène "colonisation", s'était fait jour, et s'était imposé avec l'appui de puissances nouvelles et rivales, les États-Unis et l'Union Soviétique, qui l'une comme l'autre s'étaient assises sur leur propre activité colonialiste. Je n'oublie pas la Chine, puissance ayant échappé de peu à l'appétit occidental, le morceau étant trop gros et trop coriace. Elle en avait cependant conservé une rancune tenace.
La question s'est longtemps posée d'une différence de qualité entre notre colonisation et celle des autres, entre notre décolonisation et celle des autres. Les auto-incantations et les auto-critiques (de notre côté) vont bon train depuis cinquante ans. J'ai le sentiment qu'avec le temps, une égalité négative s'est fait jour: l'échec à peu près général des états devenus indépendants dans les années 1960, implique l'échec rétroactif de l'expansion coloniale du XIXème siècle, et des diverses méthodes de décolonisation, violentes ou douces. Et on voit apparaître aujourd'hui, là où c'est encore possible, la tentative d'annulation, par les populations indigènes, des séquelles culturelles des colonisations du seizième siècle, plus particulièrement espagnoles, mais aussi portugaise**.
C'est toute l'humanité qui a élevé son niveau de conscience, et critiqué la prééminence de la force, au profit de celle du droit. Bien sûr, c'est d'abord de la force de l'autre qu'on s'occupe. Le droit vient après, quelquefois, mais de toute façon, cela ne regarde que le pouvoir qui règne sur le pays "indépendant". L'indépendance est une frontière, dans tous les sens du terme. Sauf un, le contentieux. Sa commodité lui épargne le moratoire.
Alors? Alors, attendons! En ce qui concerne l'Algérie, où le contentieux continue, pour des raisons intérieures, de faire l'objet de tous les soins, les anciens combattants, qui monopolisent le pouvoir et le discours, sont au minimum septuagénaires, comme les français qui ont participé à la guerre. De chaque côté "on" brille de ses derniers feux, et de chaque côté, il faudra bien, un jour, laisser la place aux jeunes***.
Sceptique
*Le jeu du couteau, qui a certainement disparu de toutes nos cours de récréation, consistait à planter son couteau de poche dans un espace délimité de terre meuble. Si on parvenait à le planter, ce qui n'était pas facile, "on" avait le droit de prolonger de part et d'autre la ligne de plantage, traçant ainsi une frontière, adjugeant au chanceux le territoire le plus important. Et ainsi de suite, le partage se faisant entre les plus habiles et sélectionnant un champion. La façon dont les puissances européennes se sont partagées l'Afrique (sub-saharienne) m'a toujours rappelé ce jeu.
**Au Brésil, la protestation de tribus amérindiennes contre un projet de barrage prend les mots du nationalisme. Quant à certains états hispanophones comme l'Équateur, la Bolivie, le Vénézuela, leurs nouveaux pouvoirs, amérindiens de coeur, s'attaquent à la culture de l'ancien colonisateur, reparti depuis deux siècles.
***De part et d'autre de la Méditerranée, les jeunes sont exclus, de fait. Selon des modalités différentes.