Le Renard et les Cigognes
Maître Renard, traiteur renommé de son état, se vit commander par un Maire prudent, un buffet, accessoire indispensable à toute inauguration digne de ce nom. Digne, mais pas hors de prix. Les temps sont durs!
"Faites en sorte, Maître Renard, qu'il y ait à boire et à manger pour les autres oiseaux que les cigognes", commanda l'édile vertueux.
Maître Renard, routier expérimenté de la mise en bouche et de l'amuse-gueule, esquissa un sourire complice. Les cigognes, oui, il connaissait. Ces oiseaux, hauts sur pattes, au long bec emmanché d'un long cou, étaient, pour ainsi dire, faits pour becqueter. Ils, ou Elles, attrapaient et engouffraient par dizaines les canapés, petits pains garnis et petits fours, vidant en quelques minutes les plateaux, puis Ils, ou Elles, trempaient leur bec dans une flûte de Champagne, pour faire passer le solide. Les sages moineaux, à l'appétit modeste, à la timidité maladive, sautillaient dans les pattes des cigognes, mais fuyaient à leur moindre mouvement, sûrs d'être piétinés.
Quand les cigognes, rassasiées, levaient enfin le barrage devant les tables, celles-ci étaient vides. Les moineaux se disputaient les miettes. Entre eux, pas davantage de pitié.
Maître Renard avait des lettres. De Jean de la Fontaine il avait lu les fables. Les cigognes, affirmait l'éthologue du Grand Siècle, avaient l'avantage du bec. Mais il s'était trompé. Le bec, avait constaté Maître Renard, ne saisissait bien que le solide. Pour ce qui ne l'était pas, il manquait les mains pour le porter à la bouche.
Alors, Maître Renard, maltraiteur de malotru(e)s, inventa....les verrines!*
Sceptique.
*Pour ceux qui ne sont plus invités à des buffets, ce sont des verres à liqueur remplis d'une délicieuse préparation semi-solide, nécessitant l'aide d'une petite cuillère. Il est impossible de les abso rber à forte cadence.
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