Cancer de la prostate et chlordecone: une étude bien exploitée
Certains doivent se souvenir qu'à la suite d'un Nième cyclone (Dean) ayant dévasté les bananeraies de la Martinique, en 2007, la question de la remise en route de cette culture fut soulevée par deux écrivains martiniquais indépendantistes, Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant.
Culture "colonialiste", la banane dépendait pour sa productivité de l'usage, toléré exceptionnellement, d'un insecticide spécifique de son ravageur, le charançon du bananier. Or cet insecticide avait été repéré comme dangereux, en particulier, cancerogène, et il était interdit partout ailleurs que dans les Antilles. Il possédait en plus la propriété, curieuse, de persister dans les sols, apparemment insensible aux lessivages que les pluies, qui ne sont pas des "pipis de chats", imposent aux sols, dans ces îles tropicales.
Nos auteurs, confortés par une étude alarmiste du Professeur Belpomme, préconisaient l'arrêt définitif de cette culture exportatrice et protégée par l'intégration des Antilles françaises dans l'Union Européenne. La suppression de cette dépendance faciliterait la marche de la Martinique et de la Guadeloupe vers... l'indépendance !
Cette perspective n'enchantant pas la partie raisonnable et majoritaire de la population antillaise, la banane, qui se remet très vite du passage d'un cyclone, réapparut sur les marchés, avec ses qualités habituelles. Quelques soubresauts écologistes soulignèrent l'échappement de la chance, et le silence se fit.
Il vient d'être interrompu par une étude de médecins hospitaliers de Guadeloupe (Pointe-à-Pitre), dont un membre de l'INSERM, comparant deux groupes, l'un de nouveaux malades déclarant un cancer de la prostate, l'autre de sujets ne présentant pas cette maladie.
Leur conclusion est que la présence d'un taux supérieur à 1 microgramme ( 1 millionième de gramme par litre de sang) de chlordecone, majorait le risque....chez ceux qui présentaient par ailleurs des antécédents familiaux, et avaient fait un séjour prolongé dans un pays occidental. Le profil-type du planteur de bananes, quoi!
Du fait de ces réserves, de cette reconnaissance de facteurs génétiques et d'autres facteurs environnementaux que la coexistence avec des résidus de chlordecone*, cette étude a l'honnêteté de ne pas être affirmative d'une relation de causalité certaine. Mais son exploitation, qui a déjà commencé, ne sera évidemment pas honnête. Je pense que la presse médicale sera la seule à signaler les nuances des conclusions. Il y a de sérieux risques d'une campagne de dénigrement de la banane antillaise, car ce ne sont pas les 700 malades de l'étude qui sont intéressants, ni les planteurs et les exportateurs. Ce qui sera médiatiquement juteux, ce sera la panique des consommateurs!
Sceptique
*Auxquels il conviendrait d'ajouter un facteur comportemental ou culturel, comme on voudra: il est connu, sinon correctement étudié, par pudeur, que le cancer de la prostate frappe plus particulièrement les hommes sexuellement actifs, l'adenome bénin étant le lot des plans-plans ou névrosés réservés. Inhibition peu courante aux Antilles!
Note du 25 Juin 2010: Le quotidien "Le Monde" daté du 24 Juin 2010, consacre son éditorial à cette affaire, en reprenant sans discussion toutes ses interprétations et récupérations politiques. La rémanence à prévoir est un multiple de siècles (les rapports de l'AFSSA et du Sénat et de l'Assemblé Nationale parlent d'UN siècle, ce qui est déjà beaucoup, et demanderait une vérification, en Métropole, où des agriculteurs ont utilisé cet insecticide organo-chloré jusqu'en 1990). Le (la?) chlordecone est encore détectable dans 25% des échantillons contrôlés, ce qui est nettement supérieur au niveau des résidus des autres phyto-sanitaires et herbicides. Les rapports disponibles, qui font état de ces chiffres, ne se prononcent pas sur l'existence de risques pour la santé résultant de ces traces détectables chez des utilisateurs ou des consommateurs. Jusqu'au rapport examinant l'incidence du cancer de la prostate, publié par une équipe médicale de Pointe-à-Pitre, dont j'ai rapporté les conclusions prudentes, aucune pathologie particulière n'avait été observée.
L'interprétation socio-politique des indépendantistes est reprise telle quelle: les planteurs sont "békés"*, les ouvriers victimes sont "noirs". La banane, production exportable (et protégée), est "colonialiste". Élie Domota a raison: toute autre ressource qu'un salaire de fonctionnaire(antillais) ou une allocation sociale, est une "profitation".
Une autre perspective est "dans l'air": l'interdiction à tous les agriculteurs français, métropolitains et ultra-marins, des produits phyto-sanitaires qui leur permettent de soustraire aux ravageurs une partie suffisante de leur production pour rentabiliser leur travail. Ils devront partager, leur part fluctuant au gré des conditions naturelles de prolifération et d'appétit des ravageurs spécialisés. La Grande Famine de France, c'est peut-être pour bientôt.
*"békés": familles d'anciens planteurs non métissés.