Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sceptique
23 décembre 2010

Laïcité, objet de mon (res)sentiment

Toujours dans la foulée de la provocation outrancière de Marine Le Pen, et de l'émoi qu'elle a suscité, la prise de plume d'Abdennour Bidar, Professeur de Philosophie, dans le "Monde" daté du 21 Décembre, est d'un grand intérêt.

Que dit-il?

Il s'étonne de voir l'État républicain entraîné malgré lui dans "une logique d'affrontement avec une forme de guérilla fondamentaliste, qui pratique la provocation, le harcèlement, la pression diffus e et multiforme, en testant sans relâche les défenses de la laïcité." 

Ce n'est, bien sûr, pas toute la communauté musulmane qui est concernée, mais une minorité active, "pour laquelle la laïcité n'est qu'une idéologie concurrente de la leur, et contre laquelle, à ce titre, il leur paraît légitime de faire valoir leur droit à la différence."

Et Abdennour Bidar se demande comment la République a pu laisser se développer cette idée que la laïcité n'est qu'une idée comme une autre?

Je ne suis pas du tout sûr que ce soit la pensée de ces fondamentalistes. Il n'y a aucune raison qu'elle soit différente du jugement qu'ont porté sur la laïcité les catholiques du début du dernier siècle, contre lesquels la Loi de 1905 a été conçue et promulguée. Ils considéraient leur religion comme la seule vraie, la religion officielle "de facto", et il n'ont pas considéré la laïcité comme "une idée comme une autre", mais comme une persécution radicale de leur foi, et de sa position prééminente, de toujours, dans la société française. La persécution de l'Église par la Convention n'était qu'un retour bref au martyr des premiers temps du christianisme, et le Concordat son triomphe final.

Le fondement des religions monothéistes est la possession de La Vérité, révélée par un Dieu unique, mais possédant un droit de désaveu des hommes chargés de porter sa parole. Chacune se réclame de sa propre révélation, qui a disqualifié la, ou les précédentes. Comme la possession de La Vérité fait de tout le reste L'Erreur, on ne voit pas quelle considération cet ensemble misérable peut mériter. C'est un simple obstacle à bousculer, puis à détruire.

Quand la laïcité sort à son tour de sa définition que je dirais "négative", et se fait idéologie, elle peut faire l'expérience de l'échec de toute persécution des religions. C'est ce qui est arrivé à nos révolutionnaires, et à ceux de la Révolution bolchevique de 1917, pour ne parler que des principales. La répression de la pratique religieuse, les destructions d'églises, pourtant chefs-d'oeuvre de cohortes d'artistes, ont abouti à la restauration de l'Église orthodoxe de Russie, à la reconstruction à l'identique des églises détruites, à son rétablissement d'Église officielle. L'ex-agent du KGB Vladimir Poutine se signe à tout instant de présence d'un Pope.

La République a dépassé depuis longtemps la nécessité de l'usage de la force pour contrer les influences religieuses. Elle n'en prend aucune de front, et se garde de toute mesure pouvant être ressentie comme une persécution. Le premier septennat de François Mitterand, qui avait donné du moral à la laïcité "positive", en a fait la mauvaise expérience. "On" ne pensait pas les cathos encore capables de se mobiliser pour leur enseignement confessionnel, vue la tiédeur de leur pratique et la vacuité chronique de leurs églises.

Alors, maintenant, la République sait ce qu'il en coûte d'aller souffler sur les braises qui se chauffent tout doucement sous leurs cendres. Et, je le pense, c'est la raison principale de son inaction face au phénomène de l'accaparement de quelques rues bien orientées pour la Prière du Vendredi, par des musulmans qui ne disposent pas de mosquées.

Car, si la Loi de 1905 a dépossédé l'Église Catholique de toutes les églises existantes, et en a dévolu la propriété aux communes qui les entouraient, elle en a laissé l'usage exclusif au clergé catholique et aux fidèles, simples locataires. La baisse drastique des vocations sacerdotales et de la fréquentation des cérémonies n'a pas mis en cause ce contrat de location. L'Église catholique dispose souverainement de ces locaux où les cérémonies ne sont plus que ponctuelles, à base d'obsèques, essentiellement. De toute façon leur architecture est spécifique des cultes chrétiens.

Et comme la même loi interdit à l'État de financer la construction de nouveaux lieux de culte, une "nouvelle" religion comme l'islam, en France, doit assumer la construction de ses mosquées, donc acheter les terrains, obtenir le permis de construire, et réaliser l'édifice. De plus, les musulmans viennent à peu près tous de pays où l'islam est la religion officielle et dispose du soutien sans réserve de leur État. Ils n'ont pas la culture de l'autonomie en cette matière. À la contrainte financière s'ajoute la résistance de la population autochtone, qui use sans réserve du levier démocratique.

On peut aussi expliquer cette longue tolérance des cultes dans des rues par la division politique et idéologique de la société française et une sorte de répartition des rôles qui ne correspond pas forcément aux pensées intimes. La droite est assignée à la défense des prérogatives de la religion catholique, sous la surveillance hargneuse de l'extrême droite. La gauche a le devoir de défendre la liberté d'expression des autres cultes, apportés par l'immigration, et de mettre sous son mouchoir ses naturelles et propres réticences laïques. L'hypocrisie est une posture, de part et d'autre. Si Benoît Hamon laisse échapper ses doutes à ce sujet, Christiane Taubira, sur la même page du "Monde", vole au secours des prieurs de rue, ravie de pouvoir exhaler sa haine de la droite, placée devant le problème, puisque "aux affaires" pour encore dix-sept mois. "C'est bien fait pour leur gueule" résume ce que pense Madame Taubira de ceux qui hésitent à lâcher la bride à la diversité potentielle de la société française. Mon unique point d'accord avec elle est que la religion est un fait humain, même s'il échappe à la raison, et qu'elle ne semble pas craindre que la Raison puisse un jour être écrasée par un fondamentalisme religieux en pleine forme. J'ai aussi du mal à imaginer que notre société soit un jour contrainte à revenir au Moyen-Âge, sous une autre bannière, mais il est vrai que rien ne peut le garantir, sauf la capacité de défense de notre République et de ses citoyens, précisément.

Sceptique 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
S
Michèle Tribalat dit ce que tous les responsables savent, mais ce qu'ils s'interdisent de dire, et de ....contrarier. La peur et le déni sont constitutifs de la politique de l'autruche.<br /> Mais la peur est aussi d'alimenter, par la vérité, les réactions haineuses et la tentation d'actes agressifs. Car nous ne sommes pas un peuple tolérant, pour la raison que nous ne sommes pas...indifférents!*<br /> Il faudrait que nous soyons capables de faire la distinction entre le "donné à voir" et l'acte hostile. Se ficher du premier, et avoir à l'oeil le second. Sur ce dernier point, je pense que le travail est bien fait.<br /> Madame Tribalat nous révèle que l'extrême tolérance promue par le gouvernement canadien rencontre sa limite....au Québec! Bon sang ne saurait mentir!<br /> La construction de mosquées est l'affaire des collectivités locales, par le moyen de permis de construire et de cessions de terrains. Elles n'ont pas, en principe, à les financer, mais ce principe est tempéré par leur autonomie de gestion. Si les électeurs sont d'accord...<br /> *Ne perdons pas de vue que le candide Journal Officiel sert de GPS aux Faucheurs Volontaires!
Répondre
L
A propos de Michèle Tribalat, sa récente prestation au talk Le Figaro-Orange :<br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=SwW-AbJIw_E<br /> <br /> Intéressant !
Répondre
S
*Pour autant qu'il en existe une autre!
Répondre
S
il y a de sérieux doutes, aussi. Le manque de lieux de culte est invoqué, parfois pour cause de mésentente entre usagers, mais, c'est invérifiable, et la démonstration de force est bien probable. <br /> Comme l'a écrit un de mes correspondants, si des lieux de culte sont construits et que les fondamentalistes continuent de prier dans la rue le Vendredi, leur mauvaise foi* sera évidente, et légitimera une répression.En attendant, il parait plus sage de ne pas réprimer des manifestations (qui ont lieu dans des petites rues et dans des quartiers spécifiques, et d'être très vigilant sur les activités terroristes qui peuvent y trouver leurs recrues.
Répondre
P
j'apprends (Michèle Tribalat) qu'en Algérie, où les lieux de culte ne font pas non plus défaut, les prières dans la rue ont dû être interdites.
Répondre
Sceptique
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité