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Sceptique
6 février 2011

Les oignons* de l'Égypte

Quand la Révolution parait, une bonne partie du monde applaudit à grand cris. Si elle dure, la même se met à gémir. Qu'est-ce qu'une révolution? Un mouvement à la fois "politique" et "de société". Ce n'est jamais, en terme de mécanique, qu'une demi-révolution: ceux qui étaient en bas se trouvent en haut, et ceux qui étaient en haut se retrouvent en bas. Avec le temps, assez court, quelques uns qui étaient passés en haut, retombent, éventuellement sous terre, tandis que quelques uns, jetés en bas, remontent discrètement, telles des bulles dans un verre de bière**. Ceux qui ont réussi à se maintenir en haut consolident leur pouvoir et l'inscrivent dans la durée. Plusieurs décennies, ou mieux encore, plusieurs générations. Les révolutionnaires ont, eux aussi, le sens de la famille.***

En Tunisie, il y a eu, pour le moment, une vraie Révolution. Le dictateur en place et sa famille bien aimée (par lui), sont partis, avec bijoux et bagages. 

Comme la quasi totalité des états de la rive sud de la Méditerranée (occidentale et orientale) est gouvernée par des régimes despotiques, c'est à dire se servant les premiers des richesses produites****, et faisant taire toutes les critiques, le succès des tunisiens a tenté plus d'un peuple opprimé. Parmi eux, le peuple égyptien, le plus nombreux, et frustré à proportion. L'information sur la réalité leur arrivant par internet, contournant ainsi la censure, ils se sont rassemblés, toujours grâce à Internet, pour conspuer leur régime et son chef, Hosni Moubarak, successeur de Sadate et de Nasser. Moubarak focalise sur sa personne toutes les frustrations et "détestations". Son départ est présenté comme la condition "sine qua non" du retour des manifestants dans leurs foyers.

Mais, en Égypte, si le régime issu du coup d'État militaire et nationaliste qui a porté au pouvoir le Colonel Gamal Abd el Nasser, a un représentant nommé, qui parle et décide, c'est toute l'institution militaire qui "l'a fait" et qui est derrière lui.

Le temps n'est plus du total arbitraire des hommes qui portent des armes. Leur usage sur les foules serait très mal vu, la réprobation hypocrite, mais unanime du monde leur tomberait dessus, et, du monde, ils ont besoin, pour les armes, les munitions, les soldes, parfois, aussi. Ils ne peuvent pas prendre le risque qu'on leur coupe les vivres. Mais, "mezzo voce", ils sont quand même priés de maintenir un ordre nécessaire à la bonne marche des affaires. Voilà pourquoi l'Armée de l'Égypte n'est plus muette, mais pas causante non plus.

Le fait le plus remarquable de ces dernières heures a été la discordance entre le Département d'État et son représentant auprès du Président égyptien, sur la question de son départ, justement. Le diplomate américain ne voit une transition possible qu'avec la présence d'Hosni Moubarak à la tête de l'état. De son côté, l'armée, qui surveille et contrôle, sépare et isole, les manifestants, majoritairement hostiles au régime, et les contre-manifestants, accusés d'être des mercenaires, semble, par petites touches, pousser en dehors de la Place Tahrir devenue un symbole, des petites fractions de manifestants fatigués ou moins motivés. D'où cette image des oignons, formés de couches accolées, et qu'on sépare, une par une, sans brutalité, pour éviter...de pleurer! 

Car éviter d'avoir à pleurer est la préoccupation, non dite, en raison de son indécence, des politiques responsables du monde, en général, et de son nombril explosif, le proche Orient, qui compte l'État d'Israël parmi ses membres.

La déroute du régime égyptien pourrait mettre à nu une vérité passionnelle qui bouillonne en Égypte et dans tout le proche Orient arabe, la haine d'Israël, le refus de son existence, le désir d'abolir le traité de paix signé à la fin des années 70, et celui de reprendre les hostilités avec l'État juif. 

Si les citoyens égyptiens ont besoin d'un régime plus moderne, acceptant leur participation et leur jugement, ce n'est pas seulement pour leur intérêt bien compris que les occidentaux veulent préserver la paix précaire qui se maintient entre les belligérants d'il y a cinquante ans et plus, maintenant. La Raison est ce qui fait se tenir le mieux la Passion. "Savoir raison garder", pense-bête de nos rois, reste une vérité humaine.

Sceptique

*Une visite, après coup, sur Google, fait apparaître que par l'ancienneté de leur culture, et leur qualité, les oignons constituent un vrai symbole de l'Égypte. 

**Le champagne est le plus souvent invoqué, mais il est, encore aujourd'hui, prématuré.

***La défense du "moi", et de son prolongement, la famille, est l'invariant humain, celui sur lequel tous les idéalismes se cassent les dents.

****Laki Zaïdi, Directeur de recherche à Sciences Po, qualifie ces régimes de "rentiers", contrôlant les richesses et en distribuant une partie à leur masse de chômeurs pour calmer leur révolte. La croissance continue de la masse des chômeurs a épuisé un peu partout la capacité de distribution de la part laissée par les profiteurs du système. Je recommande la lecture de son article, paru dans le Monde du Samedi 5 Février, page 18.

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