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Sceptique
10 octobre 2011

À propos de la théorie du genre

L'introduction dans les manuels scolaires de la théorie du genre, qui professe que l'orientation sexuelle n'est pas déterminée par le sexe anatomique et hormonal, mais résulte du parcours culturel d'un sujet au milieu des autres humains*, a soulevé des protestations véhémentes de la part de responsables politiques, se voulant tolérants à l'égard des formes que peut prendre la sexualité humaine, mais irrités par ce qu'ils soupçonnent constituer une tentative de banalisation de ces formes de sexualité, tolérées par les sociétés modernes. En parler, décrire les diverses solutions existantes, aurait un pouvoir de suggestion, de forçage, sur des esprits immatures.

La théorie du genre n'est en fait pas si récente, et elle tient de ce que tout fait humain, constatable, dérangeant, peut faire l'objet d'une étude, d'une réflexion, d'une description, dans le cadre des "sciences humaines", et faire de l'étrange, du singulier, de "l'a-normal", un choix possible, ne l'excluant pas de la communauté humaine.

Bien sûr, cette théorie s'écarte des discours normatifs qui sont toujours le fait des sociétés traditionnelles, ou des institutions qui veillent sur cette "normalité", les religions, appuyées sur le récit mythique d'une création de l'homme, son appartenance au créateur, et la mission dont il est chargé: occuper le terrain, et témoigner de l'oeuvre divine. Cette logique ne peut prévoir d'autre destin que ce qui est dans le texte fondateur. Les déviances possibles y sont souvent décrites, ces mythes ayant été élaborés au bout d'un long parcours de l'humanité. Elles sont un motif d'exclusion, non discutable. 

Les institutions profanes se sont greffées sur le tronc commun, laïcisant, en les confirmant, les prescriptions divines. La normalité n'est pas dictée, mais elle est référée à la "nature". Les sciences de la vie, les décrivent, les expliquent, les justifient par leur appartenance au monde vivant. Ces sciences ne peuvent prendre une position différente, d'autant qu'elles ne parviennent pas à expliquer, "scientifiquement", ces libertés que l'être humain prend avec la nature.

Le conflit entre les sciences humaines et la coalition de fait, formée par les principales religions, les lois civiles et les sciences de la vie, tient à l'exclusion réciproque des prémices et des méthodes. Les sciences humaines sont descriptives et interprétatives. Les religions n'interprètent que les textes fondateurs et en déduisent des prescriptions absolues. Les sciences de la vie, partie des sciences de la nature, cherchent et décrivent des faits vérifiables, des relations de causalité, regroupés dans la biologie. Ils sont séparables en niveaux: moléculaire, cellulaire, tissulaire, organique et systémique, dans un ensemble au nom commun d'organisme. Tout être vivant pluricellulaire identifiable, possède ces niveaux. Son fonctionnement individuel met en oeuvre, en même temps, dans une harmonie fonctionnelle, ces différents niveaux. Les êtres monocellulaires, comme leur nom l'indique, ne vont pas au delà du niveau cellulaire, déjà passablement compliqué. Ils constituent l'essentiel du monde vivant par leur masse, leur variété, leur capacité d'adaptation aux milieux dans lesquels ils sont amenés à vivre. Ils furent les premiers, et seront sûrement les derniers à occuper les milieux marins ou terrestres compatibles avec la vie.

Le biologiste et philosophe Henri Atlan a fait des niveaux qu'on peut décrire séparément chez les êtres pluricellulaires, des niveaux d'organisation d'un organisme, où le fonctionnement de chaque niveau dépend du bon état et du bon fonctionnement de celui qui le précède dans leur hiérarchie. Le niveau le plus élevé est toujours le système nerveux, comprenant les organes sensoriels. Dans les conditions de la nature, son fonctionnement est indispensable à l'ensemble**.

Au cours de son évolution l'homme a acquis un niveau d'organisation supplémentaire, purement fonctionnel, le langage articulé, permettant la communication facile entre les êtres humains, et la transmission de toutes les informations nécessaires, acquises par l'expérience, rendant inutile leur re-découverte par la génération suivante. Ce savoir, cumulé, transmissible par la parole, est la condition nécessaire et suffisante de la formation d'une culture. Langage et culture sont indissociables. Ils ne sont pas le propre d'un organisme, mais un bien commun à un groupe d'hommes qu'ils relient entre eux et leur confèrent le sentiment d'identité et d'appartenance. Ce qui caractérise ce niveau d'organisation propre à l'homme, c'est son développement relativement rapide, susceptible d'accélérations, ou de stagnations, mais pas, sauf dispersion du groupe, de régression. L'invention d'une écriture par certains groupes a constitué un progrès pour la conservation des acquis d'une culture et leur transmission. On peut parler d'évolution, mais par héritabilité des acquis, comme l'a conçue Lamarck pour l'évolution anatomique.

Cependant, ces cultures permises par la fonction du langage se différencient en ramifications d'une culture initiale, ne se reconnaissant plus mutuellement. Et comme la formation des langages et des cultures fut certainement multicentrique, les groupes humains se sont différenciés considérablement, tout en maintenant un fond commun d'organisation sociale***, pouvant recevoir la qualification de "normalité".

C'est cette normalité qui est appelée au secours par ceux qui sont troublés par les audaces individuelles caractérisant les sociétés modernes, acceptant l'individualisme.

Le recours aux niveaux d'organisation d'Atlan permet de concilier ces visions de l'homme. La différentiation sexuelle est en premier lieu un fait de nature, déterminé par le code génétique "normal"****, sélectionnant les organes correspondant au sexe génétique, et, dès la vie foetale, les comportements adaptés à la vie sexuelle future. Un enfant nait avec des caractères sexuels identifiables, et, quelques mois plus tard, un comportement reconnaissable***** . Les ambiguités sont exceptionnelles et résultent de ratés du développement foetal. Ce n'est que plus tard que le sujet confirmera la sexualité attendue, ou lui en substituera une autre, d'un autre "genre". Il, ou elle, changera, en fonction de particularités éducatives, ou plus souvent, de rencontres, de découvertes, ou de remise en cause du sexe reçu. Cela revient à dire que les raisons de son choix sont puisées dans le fond commun culturel. Il s'agit, à notre époque, de choix individuels et libres, rarement, comme on l'a observé dans des cultures décrites par l'histoire, d'initiations par des adultes. La "normalité", qu'elle se rattache aux injonctions des religions, ou aux conclusions des sciences de la vie, n'engage plus les individus.

Sceptique

*Les théoriciens du "genre" sont, eux, sans réserves, et semblent exclure, tout simplement, la détermination biologique de la sexualité et de l'identité chez l'être humain. Pourtant, les homosexuels des deux sexes ne se trompent pas dans le choix de leur partenaire, et les transsexuels savent quel sexe ils refusent et quel autre ils veulent.

**La science médicale réussit à maintenir en vie des organismes tout en arrêtant temporairement le fonctionnement du système nerveux par l'anesthésie générale ou le coma artificiel. Elle parvient aussi à maintenir en vie des organismes dont le système nerveux est gravement endommagé, voire "cliniquement mort".

***L'organisation de base, la famille, est très comparable d'une culture à une autre.

**** Des anomalies génétiques, ou hormonales(comprenant la réponse tissulaire à l'hormone spécifique), peuvent induire des ambiguités anatomiques des organes sexuels, pouvant faire douter du sexe d'appartenance. Elles peuvent aussi conférer un développement corporel contraire au sexe génétique.

*****L'observation de jeunes enfants des deux sexes, avant l'acquisition de la marche, montre des différences de comportement évidentes entre les garçons et les filles (avec quelques exceptions), difficilement attribuables à une éducation, même déjà porteuse de messages d'identification.

Sceptique

Référence:le supplément Culture&Idées du Monde du 1er Octobre 2011

 

 

 

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Commentaires
S
Le langage est composé de signifiants, arbitraires, renvoyant à un signifié. Il est donc, par essence, immatériel. Dans la psychose, le signifiant peut être confondu avec le signifié, il peut être pris pour la chose, sans aucune distance. <br /> Exemple: il y a quelque trente ans, un cinéaste de télévision réalisa un documentaire intitulé:"Faut-il brûler les hôpitaux psychiatriques?". La nuit suivante, un jeune schizophrène incendia son établissement , faisant un mort.<br /> Les mêmes malades ressentent leur corps souffrant comme réellement transformé, menacé, empoisonné...
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Y
C'est vrai: l'homme est le seul à pouvoir mettre des mots sur des sensations qui ne correspondent pas à une modification réelle du corps.
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P
c'est vous qui parlez de "délire".
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Y
La psychanalyse ne s'est pas écartée de la différence des sexes, anatomique, et fonctionnelle. Mais en même temps, elle ne s'est pas questionnée sur la physiologie, les questions d'hormones....<br /> Elle s'est centrée sur la traduction psychique des pulsions, de la différence des sexes, vécue avec envie, ou horreur, par les sujets des deux sexes. Les perversions lui ont beaucoup servi pour décrire les fantasmes sous-jacents des conduites et des choix sexuels. <br /> La théorie du genre n'est pas issue de la psychanalyse, mais des mouvements féministes et homosexuels, qui accusent la psychanalyse d'avoir rangé ces choix dans la pathologie psychique, justement. <br /> Je considère comme absurde la prétention de la théorie du genre à se substituer aux autres approches, après les avoir niées. Ma réflexion vise à substituer le "et, et" au "ou, ou", en expliquant la théorie des niveaux et leurs rapports, et la spécificité de la fonction du langage chez l'homme, qui le libère du corps jusqu'au....délire!
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P
Comment un psychanalyste entend-il cette mise en cause de la différenciation sexuelle? Ne fait-elle pas sens pour lui?
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Sceptique
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