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Sceptique
17 novembre 2011

Sea-France: ce qu'auraient pu faire des syndicats modernes.

Le trafic trans-Manche par mer est soumis à une rude concurrence. En outre, le ferry n'en a plus le monopole. Le tunnel sous la Manche, l'avion, pour les gens pressés, détournent une bonne partie de la clientèle potentielle. 

Les navires sous pavillon français souffrent d'un handicap supplémentaire: les droits acquis par les marins français, qui font des équipages plus nombreux, plus chers, pour moins d'heures de travail. Sans ses généreuses subventions, aucune ligne régulière française ne peut tenir le coup. Et notre participation à l'Union Européenne nous impose de ne rien faire pour verrouiller la concurrence.

Donc, Sea-France, à capitaux SNCF, chargée de maintenir le pavillon français au milieu d'un trafic international, a fini par jeter l'éponge, a déposé son bilan.

Comme d'habitude, les syndicats* chargés des intérêts des travailleurs les ont faits se mettre en grève. Solution unique, à tous points de vue, conceptuel et pratique. Les entreprises, quelles qu'elles soient, doivent continuer leur activité, même sans clients, sans argent. "Les entreprises sont faites pour donner des emplois". S'il n'y a plus d'activité, s'il n'y entre plus d'argent, eh, bien, que les actionnaires payent, point barre. Car s'ils en sont arrivés là, c'est qu'ils ont mal géré leur entreprise, et ils doivent assumer leur faute.

Si le patron a déménagé "à la cloche de bois", les salariés se tournent vers l'État. À lui de prendre les choses en mains, de renflouer la caisse, de transformer l'activité soumise à la concurrence en service public subventionné, délivré de cette sujétion au profit. Malheureusement, l'État ne veut plus, ne peut plus, n'a plus le droit(européen). C'est l'impasse.

Les équipages des ferries de Sea-France ont eu le courage de proposer de reprendre eux-mêmes, en coopérative, la compagnie. Ils savent qu'ils auront à mettre leurs droits sous leur mouchoir, de se contenter d'un salaire réduit et d'horaires plus élastiques. Mais ils pourraient sauver tous leurs emplois, alors que les repreneurs potentiels n'en reprendraient qu'un minimum, celui qui serait suffisant pour se voir attribuer le droit de reprendre l'exploitation de la ligne.

L'obstacle, c'est que les braves marins devront trouver des capitaux pour racheter les actifs de la compagnie:ses bâteaux! Ils sont encore estimés à 22 millions d'euros! Il n'en ont qu'UN, d'euro, à proposer! Et, par les temps qui courrent, qui prendra le risque de leur prêter l'argent manquant?

C'est à ce tournant que se mesure l'impuissance réelle de nos syndicats. Il ne leur faut pas beaucoup d'argent pour s'équiper de drapeaux, de leurs manches, et de quelques porte-voix. Mais soutenir financièrement une coopérative ouvrière, ils ne le peuvent pas. Car ils ont peu d'adhérents, et ne vivent que de subventions directes ou indirectes. Leur fonction n'est que d'animer des luttes, pas d'accompagner leurs mandants dans le monde réel.

La question des syndicats est tabou. L'effort accompli pour évaluer la représentativité de chacun est méritoire, mais sans effet sur la réalité de leur impuissance. Le patronat s'en satisfait, et les syndicats font de même, car leur impuissance autre que combative leur évite toute responsabilité civile et pénale. Les syndiqués sont personnellement responsables, pénalement, des actes qu'ils croient légitimés par le contexte, comme le saccage d'une préfecture, par exemple.

Les politiques ne semblent pas vouloir aller au devant de cette faiblesse structurelle. Elle leur donne, à eux aussi, plus de souplesse dans leurs arbitrages.La brosse à reluire n'est jamais sans aucun effet.

Lors de la campagne de 2007, la candidate Ségolène Royal avait inscrit à son programme une réforme audacieuse: rendre la participation à un syndicat obligatoire, la faisant passer de 10%, au mieux, à 100% théoriques(il y aurait forcément des rebelles). Il va de soi que le choix du syndicat devrait être libre et révocable. Mais ainsi financés et soumis à une concurrence qui ne serait plus une simple surenchère, les syndicats auraient à inventer, et à mettre en oeuvre d'autres moyens de secourir les salariés d'entreprises en difficultés. Au lieu d'achever les entreprises.

Je ne dis pas qu'il n'y aurait plus jamais lieu de provoquer une grève. Les hommes sont ce qu'ils sont. Les patrons en sont aussi. Mais les rapports de force seraient changés, ou remplacés par des rapports de droit. Partie prenantes de l'économie, par la gestion de leurs finances, les syndicats devraient épargner la poule aux oeufs d'or.

J'ajoute que cette réforme devrait concerner toutes les professions. La micronisation et l'impuissance syndicale les concerne toutes. C'est un "mal français".

Sceptique

*La CFDT est le syndicat majoritaire de Sea-France

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