L'homme et LA saleté
Une société idéale, celle dont on rêve de plus en plus, et avec de plus en plus de force, c'est une société sans saletés.
Les sociétés humaines reviennent de loin! Les toutes premières étaient vraiment dégoûtantes: les hommes jetaient par l'entrée de leur hutte* tous les reliefs de leurs repas. Nos archéologues d'aujourd'hui sont ravis de pouvoir reconstituer les habitudes alimentaires de nos lointains ancêtres en analysant les quelques traces de ces ordures, trouvées autour de celles des demeures, réduites à leur empreinte sur le sol de l'époque**. Ce ne sont que des traces, car les animaux charognards, comme les chacals, venaient se nourrir de ces déchets. Il est vraisemblable que les plus aimables, et les plus faibles, de ces charognards, ont été les ancêtres de nos chiens et de nos chats.
La situation s'est compliquée avec l'accroissement, en nombre, des humains, grâce à l'abondance relative permise par l'invention de l'agriculture et de l'élevage. Pour des raisons de commodité(fourniture d'eau par une source), ou de sécurité (protections "naturelles", ou faciles à ériger, contre les agressions d'autres hommes) des collectivités humaines se sont agglutinées sur des espaces étroits, mais plus sûrs, et ont formé des villes. Là, forcément, il a fallu trouver une solution également collective pour les ordures.
Beaucoup de parisiens doivent ignorer que certains reliefs doux de l'Est de Paris sont dus à l'accumulation, pendant des siècles, des ordures des parisiens, ramassées ponctuellement et transportées là où elle gênaient le moins. À l'Est, puisque la capitale se développait alors vers l'Ouest.
Pourtant, la quantité de déchets produite par nos ancêtres était bien plus faible que celle d'aujourd'hui, où elle a atteint, et parfois dépassé, un kilogramme par personne et par jour. 365 kg par habitant et par an! L'ancienne économie recyclait beaucoup plus que celle d'aujourd'hui, ou chargeait les cochons de le faire. Le recyclage de ces derniers était la grande affaire annuelle des campagnards.
Depuis que nous sommes arrivés à ce niveau de production de déchets divers, l'autorité publique s'est emparée du problème, ne serait-ce que pour éviter que les citoyens les déversent n'importe où. Mais une fois récupérées auprès des "producteurs", il faut se débarrasser de la masse collectée. L'incinération a été, un moment, la solution. Elle produisait même de la chaleur pour le chauffage à proximité. Mais la production de dioxine par un chauffage insuffisamment intense a fait proscrire cette méthode. Les décharges sont redevenues le pis-aller, et les conflits locaux, mobilisant les citoyens mécontents d'avoir à subir les déchets des autres, ont abouti à des trafics, consistant à touver un site de dépôt assez bien caché pour ne pas être découvert tout de suite.
Une trouvaille encore utilisable consiste à pratiquer le tri sélectif entre les matières recyclables et celles qui ne le sont pas, ce qui en laisse quand même la plus grande partie sur les bras. Et cette partie est déversée et compactée dans des sites naturels, dont elle comble les creux. Il faut environ trente ans pour le remplir, après quoi il est recouvert de terre et de végétation, reconstituant un paysage, tandis qu'une certaine quantité de gaz est produite par la biomasse enfouie, et récupérée. Le problème étant le nombre fini des sites possibles, et l'hostilité vigilante des voisins, "on" en revient aux incinérateurs, cette fois-ci conçus pour ne dégager aucune substance toxique. Mais c'est une nouvelle bataille juridique et politique pour en imposer un de temps en temps.
C'est peut-être l'âpreté et la durée de ces combats qui ont développé une hargne particulière de toutes les parties engagées: producteurs d'ordures-priées-d'aller-se-faire-voir-ailleurs, et responsables locaux, sommés de faire bonnes-ordures-avec-peu-d'argent.
Les agences de notation de ce secteur particulier sont françaises ou européennes. Elles ont l'ambition de s'internationaliser et de porter le fer(rouge) sur ce qui se fait ailleurs. Ainsi, exemple récent, sur l'extraction, commise par les canadiens, du pétrole contenu dans les sables bitumineux de l'Alberta. C'est une cuisine peu ragoûtante, qui consomme une partie de l'énergie récupérée, mais, au prix actuel du pétrole, elle laisse une marge acceptable.
"On" veut bien du pétrole canadien, mais, bien qu'il n'encrasse pas plus nos moteurs que les autres, "on" voudrait bien le taxer, comme disent les collégiens, c'est à dire en faire payer une partie par les canadiens eux-mêmes! Qu'ils payent une taxe d'enlèvement de leurs ordures pétrolières!
Les canadiens ne veulent pas, bien sûr, et la raison nous revenant de temps en temps, "nous" semblons disposés à les dispenser de cette mesure adoptée par l'Union Européenne.
Surtout que les canadiens prennent la peine, quand ils ont récupéré tout le pétrole d'une mine à ciel ouvert, de reconstituer le paysage, de le replanter avec des herbes et des arbres autochtones, habitués à un climat plutôt rude. La bio-diversité est garantie, youpi!
Qu'est-ce qu'on peut demander de plus?
Sceptique
*Les grottes ont livré en premier les indices de présence humaine et de la civilisation de ces prédécesseurs lointains. Mais l'habitat habituel était construit de leurs mains, avec les matériaux disponibles, de nature végétale.
**Ces implantations de huttes out été découvertes par des fouilles. Elles n'étaient plus en surface.