La remontrance de François Fillon
La guerre civile syrienne continue, mois après mois, jour après jour, et sur le terrain aucune évolution ne se dessine vraiment. L'armée, puissante et bien équipée par l'allié russe, continue sa destruction méthodique, pan de mur par pan de mur, de tout ce qui peut abriter un "rebelle", ou un "terroriste", pour reprendre le vocabulaire officiel. Et ces rebelles, obstinés, irréductibles, continuent leur combat, rue par rue, mur par mur, avec les armes légères que leur font parvenir leurs amis, les pays arabes sunnites.
Car à la simple lutte contre l'oppression méthodique d'une dictature qui s'arcboute sur un clan religieusement distinct de la majorité des syriens, s'ajoute l'armement moral de la religion. En l'occurrence, le sunnisme, version majoritaire de l'islam, très longtemps sans contestation, mais qui depuis quelques décennies, doit se défendre contre ce qui est pour lui une hérésie, le chi'isme. Qui a maintenant une expression politique et guerrière nommée, l'Iran des mollahs, et ses clones, le Hesbollah libanais, et la majorité au pouvoir en Irak, après l'occupation américaine initiée en 2003, qui a imposé l'expression de la majorité ethnique et religieuse à un "pays" qui l'avait ignorée depuis sa fondation*.
Les nationalismes anti-occidental, et anti-israélien, qui se sont exprimés après le dépeçage de l'empire ottoman et la nouvelle donne léguée par les belligérants de la deuxième guerre mondiale, ont maintenant laissé la place à une lutte d'influence entre les deux grands courants de l'islam qui se partagent le proche et le moyen orient. À l'expansionnisme politique du chi'isme iranien, s'oppose en ordre dispersé, et hétérogène, un monde arabe sunnite révulsé par l'arrogance de cette hérésie apparue dès les premiers pas de la nouvelle religion. Qu'on s'étonne et qu'on s'inquiète, dans nos pays laïcisés et religieusement tièdes, de l'importance de la religion dans la vie politique et les relations entre états, est "normal". Notre mémoire ne remonte plus assez loin dans notre propre histoire.
Nous assistons, sans pouvoir la comprendre, à la décantation d'une situation créée par les alternances de puissance et de décadence de cette immense région, sous l'empire des grecs, des romains, des arabes, des turcs, puis des puissances occidentales. La concentration des ressources pétrolières dans ces pays a constitué une complication, et un appel aux interventions occidentales sous diverses formes. Bénédiction ou malédiction? Les deux, c'est sûr!
Ce long préambule m'est apparu nécessaire à mon évaluation à sa juste mesure de la "remontrance" que François Fillon, Premier Ministre de Nicolas Sarkozy pendant la durée du mandat présidentiel de ce dernier, adresse à son successeur, François Hollande. La gravité de la situation humaine en Syrie, l'usage unique de la force, donnent le droit à une personnalité de l'opposition d'intervenir, et de dire ce que Nicolas Sarkozy avait fait dans des circonstances comparables. Il allait au charbon, il se salissait les mains à serrer celles des bourreaux. Grâce à lui, la Géorgie n'a pas disparu de la liste des nations indépendantes, en application du projet dont la réalité a été avouée, avec forfanterie, par son auteur lui-même, Vladimir Poutine, Président de la Russie.
La légitimité de l'intervention de Nicolas Sarkozy, épaulé par l'ensmble des nations de l'OTAN, a suffisamment fait réfléchir Poutine, pour qu'il s'en tienne aux résultats des premiers combats, l'éviction de la Géorgie de ses territoires historiques d'Abkhasie et d'Ossétie du Sud. Mais il lui a laissé sa souveraineté internationale.
La France, cinq ans plus tard, retrouve le chef russe à un même niveau de responsabilité. Sans son droit de veto au conseil de sécurité, sans son soutien logistique à son "ami" syrien, ce dernier ne pourrait pas continuer sa guerre civile à son propre peuple.
Donc oui, c'est à Vladimir Poutine en personne que les dirigeants européens doivent présenter l'exigence de "lâcher" Bachar El Assad, en lui faisant valoir....qu'il n'y a pas qu'en Russie qu'on trouve du gaz. La situation de ce carburant a changé depuis quelques années. La capacité de chantage de la Russie n'est plus ce qu'elle était.
Il y a un risque d'échec? Sans doute. Mais le bras de fer aura été, au moins, tenté. Il serait préférable à un choix, de fait, de la coalition anti-Assad, dont la complexité nous échappe. Mais dont il parait sûr que, dans des conditions "normales", toujours, elle finirait par l'emporter.
Sceptique
*L'Irak, territoire de l'Empire Ottoman, mais dont les ressources en pétrole étaient connues, fut le "morceau de choix" des britanniques, en 1918, et ils l'organisèrent à leur avantage, en s'appuyant sur ses chefs naturels.