ENFANCE EN DANGER? RAISON GARDER!
Il y a des enfances malheureuses, à base de négligences diverses, ou de maltraitances caractérisées. Il y a des accidents mortels, causés par des parents, des pères, le plus souvent, qui oublient l'espace d'un instant le rapport de forces inégal, en leur faveur, la fragilité d'un enfant en bas âge. Il y a des étourderies, dont on se demande quelles peuvent en être les séquelles morales, qui font oublier une enfant dans une voiture, où il mourra d'un excès de chaleur.
On peut ajouter à ces fautes tous les accidents mortels dont les enfants sont victimes en raison de leur ignorance du danger. Tout accident survenant à un enfant peut être relié à un manquement de quelques instants de sa surveillance par un adulte.
Pour autant, c'est à se demander quelle instance invisible les protège, l'enfant d'aujourd'hui, et d'ici, a bien plus de chances d'atteindre l'âge adulte qu'un enfant d'autrefois, ou d'ailleurs.
De nos jours, la mort d'un enfant, même de maladie, est un scandale, l'échec de notre mission d'accompagement vers l'autonomie de l'adulte, responsable de ce qu'il fait de sa vie. Dans la première phase de cette vie d'adulte, la prudence et la raison sont plutôt considérées comme des faiblesses peu glorieuses. Mais c'est une autre histoire.
Cette inconséquence fondamentale du jeune humain, même majeur, au regard de la Loi, la rationalisation collective, incarnée par les chercheurs en prévention, tente de la maitriser à l'aide de garde-fous, à inventer, ou à perfectionner. Or, parmi ces inconséquences, la jouissance de "faire" des enfants, tant du côté des pères, que des jeunes mères, est plus que jamais un droit sacré. Que la "puissance publique" s'engage à soutenir et à garantir. La situation de crise économique que nous vivons a réhabilité le concept de famille élargie, abritant et nourrissant trois générations sous le même toit et autour de la même table. Mais ce n'est pas toujours possible, et beaucoup de jeunes couples, chargés d'au moins un enfant, sont confrontés à la pauvreté aggravée. C'est dans cette catégorie qu'il y a le plus de risques que l'enfant soit un motif de dispute, plutôt que de rapprochement et de solidarité.
La liberté qui fonde notre société n'est pas une fiction, comme elle est parfois dénoncée. Mais elle angoisse tous ceux qui savent qu'il peut en être fait un mauvais usage. Et la découverte fortuite, de temps en temps, de cas de maltraitance ou d'infanticide intentionnel, entretient cette angoisse de "passer à côté" d'autres cas. Et quand "ça" arrive, à coup sûr, il y a une défaillance des services chargés de cette protection, passant nécessairement par une intrusion dans l'intimité des familles.
La distance entre la conscience professionnelle et le procès d'intention est courte. L'opacité des murs qui abritent les familles exacerbe la défiance. La tentation d'affecter d'un coefficient multiplicateur à la situation connue, crée une situation inconnue, mais tout aussi vraie.
La proportion de dix pour cent d'enfants maltraités et en danger de mort a surement une commodité pour l'esprit. Il laisse une marge substantielle à un dépistage inquisiteur. Ce qu'une société attentive mais libérale ne peut pas réaliser. Est-ce que cette impossibilité autorise à parler de "phénomène de santé publique massif"? Comme on a pu le faire pour d'autres supposés vices cachés de notre société*?
Pourrait-on améliorer la situation par une suspicion systématique et généralisée? Où se situerait la limite entre une liberté "normale", dont on sait qu'elle s'arrête où commence celle des autres....dont les enfants font partie, et une "liberté surveillée", ou "conditionnelle", établissant une présentation obligatoire des enfants déclarés, à quelle fréquence, et devant qui? Je doute que la société française approuve, par son vote, une telle évolution.
Ce n'est pas parce que la criminalité est plus visible et mieux médiatisée qu'elle est réellement pire que dans le passé. La connaissance crée de nouvelles obligations pour la puissance publique. Mais la raison doit s'opposer à des débordements incontrôlables.
Sceptique
*L'inceste, supposé méconnu d'un facteur dix!
Source:le Monde du 15 Juin 2013, p.11-Société