"SUPPRIMER LE PRÉCARIAT"? LEQUEL? ET COMMENT?
Le "précariat", état d'incertitude frappant des membres d'une société, est un mal dont l'origine se situe dans la nuit des temps, à partir d'un certain niveau de développement démographique et économique. Il ne touche pas las sociétés primitives de chasseurs-cueilleurs, comme il en existe encore dans les zones les plus dures, les plus ingrates de notre terre.
On sait que l'évolution des sociétés humaines vers l'agriculture et l'élevage, qui ont supprimé, théoriquement, la précarité originaire, celle de l'offre alimentaire, s'est traduite par un bond de la démographie, incompatible avec le modèle des premières sociétés humaines dont nous avons encore sous les yeux quelques modèles. Deux ou trois dizaines d'individus, partagés en un nombre du même ordre de familles, "dirigées" par les anciens.
La nécessité de maintenir la cohérence et la sécurité des sociétés plus nombreuses, combinée à une insécurité parallèlement développée, l'inégalité des approvisionnements se réglant de plus en plus par la prédation, a abouti, en quelques millénaires, à la formation de peuples, très structurés et hiérarchisés, dominées par les guerriers, devenus naturellement les chefs. La science de l'histoire, apparue avec l'écriture, consolide cette vision de la marche de l'humanité vers ce qu'elle est en forte majorité aujourd'hui.
On peut dire qu'aucune société "moderne" n'échappe à la formation d'un "précariat" en son sein. Des sujets, des familles, n'y participent pas réellement, n'y ont pas de fonction, d'utilité. "Ils" ne produisent pas, mais consomment autant qu'ils peuvent, selon le bon vouloir des producteurs intégrés. La solidarité n'est jamais nulle, la marginalisation jamais radicale, à tous les niveaux hérarchiques d'une société, une préoccupation ciblant les exclus existe. Le débat ne porte que sur le quantitatif. Quelle part réserver aux "précaires"?
Spontanée d'abord, et maintenant définie dans le cadre de la "politique", la prise en charge du "précariat" la divise, justement. Le précariat d'abord? Comme signe d'échec de la société tout entière, ou le précariat, après, au titre de l'échec de ses victimes? Il n'y a sûrement pas beaucoup de membres d'une société qui ne s'interrogent régulièrement à ce sujet. Le "niveau de conscience" de chacun y joue un rôle majeur. Le refus d'y penser n'est qu'une défense contre la culpabilité collective, développée par l'idéalisme, politique ou religieux.
Aux deux extrêmités de l'opinion sur cette question, on trouve "l'intégration forcée", l'obligation intimée à tout citoyen de participer à la production, pour qu'il en reçoive une part, et, à l'autre, "le droit au non travail", qui libère tout sujet de toute obligation, et lui accorde la disposition de ce qui lui est nécessaire. Nulle part n'existent ces situations théoriques.
Le clivage politique prolonge celui qui se constitue entre les individus, et aboutit à des solutions à long terme, une économie distributive (à chacun selon ses besoins), ou libérale (à chacun selon sa participation). La dimension morale du problème rend plus sympathique la première, mais la raison souffle qu'elle n'est pas durable, parce qu'elle est démotivante. Et à partir d'un certain niveau de démotivation, sous ses diverses formes, la situation s'aggrave. La tentation de la confiscation pointe son nez, mais son échec à coup sûr fait reculer.
Revenir à la raison, à l'acceptation des limites de l'homme, de l'invariant individuel qui lui fait choisir son ordre de priorité, lui, et sa famille, d'abord, semble douloureux ou honteux à accepter. Imparfait, l'homme ne peut réaliser une société parfaite. Il n'en existe aucune. Les plus prétentieuses sont les pires.
Sceptique