Je ressens ce "non dit" au coeur de toutes les protestations, immédiates et tenaces, dès qu'il est question d'une nouvelle liberté concernant nos moeurs. J'ai un recul de cinquante ans d'évolution de notre société, dans la postérité de Mai 1968, première rupture irréversible, mais ne concernant que notre jeunesse, à l'époque.
Si d'autres parties de notre société ont saisi l'opportunité, et pris le train en marche, ce ne fut que pour obtenir des avantages en espèces, ne mettant pas en cause notre modèle social. Il n'en fut pas de même pour les jeunes générations.
Le débridement de la sexualité eut des conséquences concrètes dans le milieu rural où j'exerçais. Quelques grossesses inopportunes et jetant à bas des projets de vie à plus long terme.
La "pilule" venait d'apparaitre, avec son cortège de prédictions d'une stérilité définitive de notre société. La fin des berceaux!
Je me suis dépêché de balayer ces menaces ridicules, et protéger les filles pour lesquelles il était encore temps.
Ce n'était pas encore le moment, par contre, d'interrompre les grossesses certaines, même de quelques semaines. Les filles piégées devaient aller jusqu'au bout. Dans les conditions où elles se faisaient, les interruptions de grossesses étaient l'affaire des couples.
Le soulagement fut apporté par l'étape suivante, la légalisation de l'interruption de grossesse. Là encore, pour certains esprits, c'était la disparition de notre société, de notre monde.
Il cohabite, maintenant, avec ce qu'il exècre toujours, la liberté des corps, le mariage pour tous, et la procréation artificielle, "médicalement assistée". Demandée par les couples de femmes, mais aussi par celles qui ne veulent pas de la méthode "naturelle".
Le recours à la GPA, frappé d'opprobre, nécessitant le recours de femmes étrangères, s'est heurté au refus de notre société de les reconnaitre, de leur accorder une identité, une parentalité, et leur possession de la nationalité de leurs "parents" déclarés. Comme s'ils étaient responsables de la façon de leur conception. C'est en catimini que Christiane Taubira a réglé ce problème, en autorisant les juges à leur reconnaitre une filiation, une identité, une nationalité.
Le Président Emmanuel Macron, propose la Procréation Médicalement Assistée à toutes les femmes qui désirent une grossesse, sans passer par un rapport sexuel avec un homme. Le problème est le don de sperme. Le projet de supprimer son anonymat va automatiquement faire baisser l'offre. C'est une bêtise. Contrairement à la doxa courante, il est possible de se passer de l'identité de son père, et sa connaissance à tout prix est presque toujours une déception. Je rappelle, à l'occasion, que notre société a compté pendant des siècles des "filles-mères", dont l'enfant ne serait jamais reconnu, sauf, éventuellement, par le conjoint tardif de leur mère. C'est la mère qui "fait" le père, en le nommant. Il peut rester anonyme si elle le décide.
L'absence de ces "normes" n'est pas préjudiciable si la mère s'en explique auprès de son/ses enfant(s). L'enfant , s'il est informé, peut accepter les particularités de son existence. S'il se lance à la recherche de son géniteur (ou de sa génitrice, parfois), il sera généralement déçu, et il n'y aura pas de suite. La période de l'identification est très courte et non réversible. Il est licite de tenter de le dissuader, de le prévenir d'une possible déception, mais de le soutenir s'il passe outre.
Sceptique
P.S Mon titre rappelle l'inertie de toute société et son malaise devant la nécessité d'une adaptation, à une pression interne, ou externe. Il faut comprendre les résistances, mais ne pas les laisser évoluer vers un conflit sociétal, ou une interdiction.
Inscrite toujours dans le code civil, elle serait selon Freud un progrès de la
civilisation et une « victoire de la vie de l’esprit sur la vie sensorielle » ; puisque cette
première nécessite des opérations logiques et intellectuelles supérieures, telles que la déduction ou la conjecture (Il rappelle que « la maternité est attestée par le témoignage des sens, tandis que la paternité est une conjecture et elle est édifiée sur une déduction et un postulat.) Elle a en plus le mérite de permettre le doute, ce qui va alimenter les fantasmes du « roman familial.» Je rappelle que par « roman familial », on entend en psychanalyse une construction fantasmatique refoulée, dans
laquelle l’enfant réinvente ses origines, en imaginant qu’il est issu d’un autre lit ou adopté. Il se donne le plus souvent des parents d’un rang social plus élevé, distingués, riches ou célèbres. Les opérations intellectuelles requises à cette construction, comparaison et relativisation, résultent de l’acquisition, fondamentale pour la psyché, d’un droit de « douter ». Concernant les effets, paradoxalement «bienfaisants », de ces fantasmes, qu’on aurait tendance, à tort, à considérer
uniquement comme l’expression d’une infidélité ou d’ingratitude envers les parents, Cf. lesexplications de FREUD, dans « Le roman familial des névrosés », [1909c] in Névrose, psychose et perversion, [1973], Paris, P.U.F, 1992, 157-160. Paul-Laurent ASSOUN reprend cette question, en dénonçant les abus et les risques d’une exigence sociale croissante, aujourd’hui, de « preuves de paternité » que les connaissances médicales actuelles ont rendues possibles. Voir, « Pater incertus,
mater incognita », in Vérité scientifique, vérité psychique et droit de la filiation, sous la dir. de Lucette KHAÏAT, actes du colloque de l’IRCID-CNRS, des 9, 10, 11 février 1995, Toulouse, Erès, 1995.