L'identité nationale: réflexions
Quand le projet de consulter les citoyens sur la question a été présenté par Éric Besson, Ministre et transfuge du Parti Socialiste, la première réaction des porte-paroles de ce parti a été de pousser des cris d'horreur. Sauf l'ex-candidate aux fonctions présidentielles, Ségolène Royal. D'autres réactions, comme celles de Luc Ferry, n'ont vu dans la proposition qu'une opération de diversion.
Mais, apparemment, à la suite d'un sondage, auquel je n'ai pas participé, les français se sont montrés intéressés, avec une assez nette majorité.
Du coup, le "Monde", qui n'est jamais pro-gouvernemental, mais soucieux de l'opinion, a décidé de faire de la place à ce débat dans ses pages. Certaines contributions sont dépourvues de sérénité, simplement injurieuses. D'autres sont raisonnables, sérieuses, distanciées.
On peut se poser les questions: est-ce le bon moment? Est-ce une nécessité impérieuse, urgente? Notre société, pour employer le langage de l'économie, est en opération de "fusion-acquisition", ce qui implique l'étape suivante de "restructuration", mais, au contraire de ce qui se passe en économie, "sans licenciements"! Tout le monde actuellement présent doit y trouver une place.
Être français, est-ce un plaisir, une souffrance, une honte, ou une gloire partagée? Une fatalité qui nous entraîne contre notre gré? Pour les sujets que nous sommes, il peut y avoir cette variété de sentiments, selon les circonstances. Elle est très rarement la même, pour tous les citoyens à la fois.
Le temps n'est plus où l'identité nationale vue par les responsables politiques et l'administration se concrétisait par un service militaire et une participation, ou deux, à un conflit. Il n'y a plus que des lois concernant l'ordre public et la convivialité dans ses aspects divers, qui nous précisent nos droits et nos devoirs. On ne peut pas dire que ce soit pour quiconque une obsession. Il est dans nos convictions intimes que "nous payons pour ça" des impôts, et que ceux qui les encaissent doivent se débrouiller.
L'identité nationale ne se résume évidemment pas, et je dirais, moins que jamais, aux registres et fichiers des administrations. C'est un sentiment, conscient, personnel, fluctuant en sens (positif ou négatif), en intensité, brûlant, tiède, ou froid. Mais les facteurs de fluctuations se rangent tous dans une même catégorie: ils concernent des événements qui touchent, en partie, ou globalement, l'entité définie géographiquement, politiquement, linguistiquement, par le mot France.
Être présent sur son territoire n'est pas la condition pour ressentir une émotion à son propos. Le sentiment d'appartenance fonctionne dans l'abstraction. Il appartient à la mémoire qui, à l'état de veille, est disponible pour le sujet que nous sommes.
Par contre, être présent sur le territoire français crée certaines contraintes qui ne concernent pas que les citoyens français: l'acceptation, en actes, de ses lois, de ses moeurs, des individus qui le peuplent, constitue le minimum pour une convivialité agréable ou neutre. Pour un séjour court, la connaissance de la langue est un plus pour le plaisir. Mais elle n'est pas indispensable, les français s'efforçant de se mettre à la portée de leurs visiteurs, tant les individus, que les responsables du tourisme.
Par contre, la présence qui doit durer, pour des raisons qui sont personnelles, est beaucoup plus difficile. Dès qu'il faut se trouver une place dans la société française proprement dite, l'étranger est en butte à l'hostilité tatillonne de l'administration, qui le persécute au nom du peuple français. Lequel n'est pas unanime à l'égard des dispositions défensives prises par l'autorité politique, mais les opposants n'ont pas de solution personnelle durable à proposer, et l'égoïsme commun aidant, ils restent minoritaires. Pour être toléré en France, il faut être en mesure de n'avoir rien à lui demander, mais au contraire quelque chose à lui offrir.
Mais cette catégorie étant, en volume, réduite, et même exceptionnelle, elle ne nécessite aucune disposition politique particulière. C'est la masse plus importante d'étrangers tolérés, acceptés de fait, ou dûment autorisés, qui engage la responsabilité de l'entité France. Ils doivent jouir des mêmes droits, et accepter les mêmes devoirs, que ceux des citoyens français de plein droit.
Or, dans beaucoup de domaines, notre société française n'est pas capable de respecter ses obligations envers ses propres membres. D'où les réflexes de "préférence nationale" surgissant chez ceux qui n'acceptent pas d'être mis en balance avec des étrangers plus nécessiteux qu'eux. Quand le rapport entre l'offre de services et la demande, se tend, la fièvre xénophobe monte. Notre situation globale actuelle ne laisse pas entrevoir une baisse rapide et durable de cette fièvre, sauf à casser le thermomètre. Les responsables politiques courent sur des charbons ardents. Faire "bonne chère avec peu d'argent" est difficile.
Alors, cette interrogation, qui est en même temps un appel à une bonne réponse, était-elle utile? Si on considère qu'une partie de la classe politique souffle sur les braises et entretient volontairement la fièvre, la perspective d'un meilleur rapport entre la raison et le sentiment se maintient à distance.
Comment dégager un sentiment, unique, d'identité nationale, à partir de soixante-cinq millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement?
Sceptique
Note additionnelle: je n'ai pas abordé la question des attitudes ou postures communautaristes, dont s'emparent les médias, et auxquelles le Président de la République accorde une importance inquiète. Je ne me dissimule pas le caractère provocateur de ces manifestations, mais elle sont sans importance réelle à l'échelle de nos difficultés concrètes. Déjà que nos lois existantes sont inapplicables à ces phénomènes particuliers (prières du vendredi dans certaines rues parisiennes, port de la burqa par des musulmanes soucieuses de pureté*), d'autres lois spécifiques sont, a priori, inutiles.
* Une amie me rapportait récemment qu'en Égypte, des prostituées "tapinent" dans cette tenue!