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Sceptique
6 novembre 2010

Le capitalisme est il "naturel"?

C'est une interrrogation de Pascal Lamy, ancien commissaire européen, puis représentant de l'Europe à l'OMC, et devenu son directeur à Montréal, qui a attiré mon attention. Je le cite:

"Depuis quelques années, je m'interroge sur les racines culturelles et anthropologiques du capitalisme de marché, qui est intrinsèquement injuste, et stresse* toujours plus les ressources humaines et naturelles.

J'ai ressenti de la surprise à la lecture de cette interrogation. Bien tardive de la part d'un homme qui vient du socialisme (français) mais qui a servi loyalement et efficacement une Europe dont le système économique est résolument libéral, même dans les états sociaux-démocrates qui en font partie. C'est en France que les entraves à l'exercice de l'économie libérale, renforcées dans l'après-guerre, puis dans les années Mitterand, résistent encore.

Sa question pourrait être retournée: le socialisme a-t-il des racines naturelles** et anthropologiques? Ou est il une innovation culturelle visant à corriger les défauts de l'économie de marché, dont le développement a conduit à celui du capitalisme?

Je suis personnellement tenté de dire que l'économie de marché est un développement naturel de la culture humaine, peut-être, même, antérieur à sa sortie de l'économie des chasseurs-cueilleurs. Mais son développement a été intense à partir de la naissance de l'agriculture et de l'élevage. Car ces techniques n'ont pu que produire, sauf exception temporaire, que plus de biens qu'il était nécessaire à la consommation du producteur. L'échange du surplus avec celui, d'une autre nature, des autres, a constitué l'embryon du commerce. La simple prédation du bien du plus faible par le plus fort, pratique dont on trouve les traces, ne s'est pas imposée comme modèle aux humains de cette période, ni des suivantes.

Il n'en reste pas moins que ce niveau primaire de la production humaine organisée, a toujours été, et le reste encore, incertain et peu rémunérateur du travail, et même de l'investissement. On s'en aperçoit chroniquement avec les conflits qui éclatent entre les producteurs et les distributeurs ou transformateurs. L'injustice et la pression vont toujours dans le même sens. C'est la production qui les subit. Mais allez donc faire autrement?  Le lien de dépendance, la situation de faiblesse, sont du côté des producteurs. Ils ne peuvent pas garder sur les bras leurs produits.

Le capitalisme est-il autre qu'un rassemblement de moyens humains et financiers en vue d'un ouvrage dépassant les possibilités d'une petite communauté? Le premier capitalisme a été d'État, et lié au développement de cette échelle de regroupements humains. Les pyramides d'Égypte, ses temples gigantesques, la Tour de Babel sont les oeuvres d'une sorte de capitalisme d'État, même sans projet économique proprement dit.

La France, en particulier, pays à vocation rurale, compatible avec une économie fragmentée, aux échanges essentiellement locaux, a longtemps dépendu du capitalisme d'État pour le développement d'une industrie et d'une économie marchande à l'échelle internationale. Même encore actuellement, la nécessité d'une invigoration par l'État de toute initiative d'ampleur est un trait tenace de notre culture économique.  "On" la demande constamment, quitte à se plaindre du poids de sa tutelle.

Le modèle français n'est pas exemplaire comme réponse à l'interrogation de Pascal Lamy. Si la représentation du laboureur est promptement disponible, celle du "maitre de forges" est sulfureuse. La continuité entre la forge villageoise et la grande usine sidérurgique est inconcevable, alors qu'elle l'est forcément. Le changement d'échelle a cependant nécessité la volonté d'un État ou un rassemblement de moyens privés, où la candeur n'avait pas de place. Il devait y avoir un retour sur l'investissement, au profit des investisseurs. Les économies marchandes développées sur le modèle véritablement capitaliste dans les états du Nord de l'Europe sont plus parlantes. Elles se sont enracinées au sein de cultures artisanales et commerciales très actives et organisées (Ligue hanséatique). 

La question de la "justice" du "capitalisme de marché", que pose Pascal Lamy, conduit à une autre question: la justice est elle une expression naturelle, spontanée, de l'espèce humaine? Est-elle évidente dans les communautés humaines archaïques, encore au stade de chasseurs-cueilleurs?  Il semble effectivement que leur petite taille, que leur structuration traditionnelle autour des anciens raréfie et écourte les conflits internes. On se trouve dans le champ d'expression du "tabou du meurtre", lui même règle de tout groupe animal, structuré par les relations dominants-dominés. Quant à leur économie, elle est autarcique et les contributions sont réparties dans le groupe, en fonction du sexe et de l'âge. C'est en tout cas ainsi que j'ai observé les communautés amérindiennes de Guyane***.

Les économies des sociétés modernes et de taille conséquente sont évidemment loin de ce modèle, et, effectivement sont marquées par la compétition et la pression sur les hommes et sur la nature. La mondialisation n'a pu qu'aggraver cette âpreté,  toute protection par une frontière étant maintenant, sinon exclue, du moins combattue par les états eux-mêmes, pour échapper à la rétorsion des autres états***. Ce qui permet de reprendre le grief de Pascal Lamy: injuste et stressante.

Il est donc explicable que les hommes, capables de sentiments et de réflexions, protestent contre ces vices constitutifs de l'économie moderne. Le problème récurrent est qu'ils n'ont pas d'autre modèle qui garantisse l'éviction des vices du capitalisme, sans qu'ils soient remplacés immédiatement par des pires.

Sceptique

*L'anglicisme "stresser" pourrait être remplacé par "exercer une pression".

**En me relisant, bien tardivement, je me suis aperçu que telle qu'elle était rédigée, ma question n'était pas compréhensible. Que mes lecteurs veuillent bien m'excuser.

***La plupart de ces groupes n'ont de contacts qu'exceptionnels avec les représentants de la société moderne. Mais ils en connaissent les avantages et les goûts. Ils ont donc toujours en réserve des objets de leur artisanat, à usage quotidien pour eux, mais pouvant enrichir les collections de leurs visiteurs, ou des animaux de la forêt, capturés et apprivoisés.

****Trop de protectionnisme tue le protectionnisme. 

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Commentaires
S
Cet article étant souvent lu, j'y ajoute que la notion d'injustice me parait d'abord individuelle. Un sujet se sent victime de l'injustice d'un plus fort, ou du groupe dans son ensemble.Il proteste, et "les autres" sont appelés à prendre position. Cette réflexion collective sur le droit, celui des membres du groupe, est intégrée dans la culture, bien commun issu du langage. "niveau d'organisation" spécifique de l'humain, comme je l'ai écrit par ailleurs.
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L
Très bonne synthèse, que je découvre au hasard d'une recherche.
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Sceptique
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