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Sceptique
24 avril 2011

Europe et Islam: un intéressant débat

C'est un débat entre deux "musulmans", organisé et publié par le "Monde" daté du Samedi 3 Avril 2011 (p.18 et 19).

Le premier, Abdelwahab Meddeb, est un penseur laïc, analyste des incompatibilités entre l'islam et la laïcité, telle qu'elle est devenue le corollaire de la démocratie.

Le second est Tariq Ramadan, Professeur d'études islamiques. Il revendique la compatibilité entre un statut démocratique des sociétés européennes, intégrant la donne islamique, et un islam adapté par quelques corrections à ce contexte différent de celui des "terres d'islam".

Le point de départ du débat est l'interprétation des révoltes qui ont surgi brusquement dans les pays arabes d'Afrique du Nord et du Proche Orient, à partir de la Tunisie. Tous ces pays vivaient sous la férule de dictatures installées à la faveur de la décolonisation et du conflit israélo-arabe, où l'islam avait conservé le statut de religion d'État, à condition de ne pas marcher sur les plates bandes des dictateurs. S'occuper des cerveaux, oui. S'occuper des manifestations d'impiété du pouvoir civil, non.

Le système fonctionnait si bien que l'opinion répandue en Europe était qu'il convenait parfaitement aux populations musulmanes, et qu'il n'y avait pas à s'en mêler. "On" discutait avec ces dirigeants "naturels", et le commerce, souvent armes contre pétrole, passait par eux et leurs proches. "Is" étaient, dans la société, très fréquentables...pour la plupart. Et les quelques réfugiés politiques venus en Europe trouver la liberté, ne semblaient pas eux-mêmes imaginer que le système puisse trouver une fin, à l'échelle d'une vie humaine.

Que pense Tariq Ramadan des révoltes arabes? Elles ne se réfèrent pas explicitement à l'islam ou à sa version islamiste, mais n'étant pas incompatibles avec les valeurs universalistes de l'islam, il n'est pas possible de dire qu'elle ne se réfèrent en aucune manière à l'islam. Il est certain que ces révoltés sont en majorité des croyants, et qu'ils interprètent volontiers leurs succès comme résultant d'un coup de pouce d'Allah. Il y a une logique commune aux religions: le destin individuel peut être influencé par la grâce de la divinité. Mais ce trait commun, produit par la foi, est indépendant de la doctrine*.

Pour Abdelwahab Meddeb, au contraire, ces événements n'ont rien à voir avec l'identité religieuse ou culturelle. C'est en tant qu'opprimés, que bafoués, que ces hommes se sont révoltés. Seule la liberté, et le droit qu'ils avaient sur leur pays, pillé par des prédateurs, ont été invoqués. Ils auraient pu appartenir à n'importe quelle nation opprimée et confisquée par des dirigeants s'étant installés par la force.

L'avenir attendu pour ces nations débarrassées de leurs dictateurs ne sépare pas moins radicalement les deux penseurs. 

Pour Adelwahab Meddeb, "il n'y a pas mille manières d'être démocrate". Il ne voit pas pourquoi il faudrait se distinguer des inventions occidentales, qui appartiennent à l'humain. Il faut sortir de la teinture islamique à donner aux institutions inspirées de celles de l'occident, comme cela s'est fait pour les premières adaptations, au XIXème siècle.

Pour Tariq Ramadan, la marche vers la démocratie ne doit pas nécessairement se faire en opposition avec le "terreau" culturel ou religieux. Il trouve un argument dans le constat que les jeunes musulmans se référent plus à la Turquie qu'à l'Iran. Rapprocher ces deux références me semble refuser de voir lucidement autant l'une que l'autre: si la Turquie d'aujourd'hui tempère la laïcité agressive, radicale, de Mustapha Kemal "Atatürk", le référent du fondateur de la République turque était rien moins que l'islam. Il fallait, au contraire, l'extirper, par une certaine violence, des cerveaux turcs. Quant à l'Iran, c'est depuis quarante ans ou presque, une dictature cléricale, comme seule peut l'envisager la branche chi'ite** de l'islam(la collusion entre le mouvement chi'ite Hesbollah, et celui, islamiste, du Hamas, n'est que de circonstance, anti-israélienne. En Irak, la lutte est féroce entre Al-Quaida, islamiste sunnite, et le chi'isme, devenu dominant politiquement, grâce à l'invasion américaine).

La spécificité de la Turquie est reprise par Abdelwahab Meddeb. Selon lui, la rigidité de la réforme kémaliste est à l'origine du déni du génocide arménien et de l'intolérance de la spécificité kurde. Erdogan a ramené la République une et indivisible vers une démocratie adoucie. Mais la charia, l'édifice juridique de l'islam, est restée exclue de son code civil. De même, dans la Tunisie débarrassée de la dictature de Ben Ali.

Par contre, Tariq Ramadan, réduit la charia à "une simple vision des finalités...une oeuvre humaine a orientation éthique". Cette neutralisation de la charia, point de vue personnel et opportuniste, il me semble, lui permet de ne voir aucun inconvénient à l'inscrire dans la constitution des futures démocraties arabes. Tout en admettant que cette inscription courrait toujours le risque d'être dévoyée vers une interprétation littérale. Un autre de ses arguments consiste à dire que les textes bibliques et chrétiens contiennent aussi des archaïsmes choquants au regard des valeurs de notre époque. C'est évident, mais ces archaïsmes ne sont plus en vigueur nulle part, dans les lois civiles, en tout cas. Ce qui n'est pas le cas dans certains pays musulmans de "stricte observance".

Abdelwahad Meddeb met en exergue la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, et les incompatibilités qui s'y trouvent avec la charia (comme avec les prescriptions de toutes les religions à propos du mariage, à l'intérieur d'une communauté religieuse, ou de la conversion à une autre religion). La différence est que, dans les démocraties laïques, la Loi civile ne vole pas au secours de la loi religieuse en cas de conflit interne à celle-ci. Au contraire, même, s'il y a transgression de la loi civile au nom de la religion. S'il existe une religion officielle, le pouvoir civil prête main forte aux religieux pour faire appliquer les prescriptions de la religion. D'où sa conclusion que la charia devrait être exclue des nouvelles constitutions (c'est déjà trop tard pour certaines, comme le projet égyptien). 

Sur la question des rapports entre l'Occident, en général, et l'Europe en particulier, avec l'islam, les idées des deux penseurs sont radicalement opposées. Abdelwahab Meddeb, rappelle que l'identité européenne, encore informe au début du VIIIème*** siècle, quand apparaissent à ses frontières les premiers conquérants musulmans, s'est forgée contre l'islam, contre l'Autre islamique. Son identité était alors plus religieuse, le christianisme étant unitaire avec un chef, le Pape, que politique, les débris de l'empire romain n'ayant pas encore trouvé une structuration stable. La nouvelle religion, se présentant comme la remplaçante naturelle des précédentes religions du livre, ne pouvait qu'être rejetée à toutes forces. Le combat s'est étalé sur dix siècles. L'identité s'est faite politique autant que religieuse.

Tariq Ramadan ne la comprend pas ainsi. Il situe l'intolérance occidentale dans sa tardive aventure coloniale, dont elle ne serait pas épurée. Plus récente, elle devrait être plus fragile. Je lui laisse la responsabilité de cette vision lénifiante.

Sceptique

*La doctrine concerne la communauté. Les miracles, les individus.

**Le chi'isme ne voit aucun inconvénient à ce que le pouvoir temporel soit confondu avec le spirituel. C'est ce qui s'est réalisé en Iran, où Mahmoud Ahmadinejad est un laïc sur, qui "va au charbon", assume les sales besognes, mais reste révocable (dans l'esprit des mollahs). Pour les sunnites, le chi'isme est une hérésie intolérable et méprisable.

***La conquête de l'Afrique du Nord et de la péninsule ibérique a été foudroyante, achevée en à peine un siècle, mais arrêtée pour un temps en 732(bataille de Poitiers). Les conquêtes de territoires européens reprendront avec l'expansionnisme de l'empire ottoman, tandis que l'Espagne sera lentement reconquise en huit siècles.

 

 

 

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Commentaires
M
Je suis d'accord car nous ne sommes pas responsables des actes de nos ancêtres!<br /> Et puis une autre chose que nous reproche Tariq Ramadan, j'ai vu cela dans une interview, c'est l'esclavage et la colonisation fait par les blancs.<br /> Mais le peuple arabo-musulman a énormément esclavagé et colonisé. Ils faisaient des razzias sur les villages près de la mer, ils pillaient, violaient, tuaient et esclavageaient tout ce qu'ils trouvaient.<br /> Et puis au Mali il y a toujours de l'esclavage.
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S
L'avenir de nos rapports avec les musulmans ne se fera pas avec les Tariq Ramadan, mais avec les Abdelwahab Meddeb. Nous, de même, ne devons pas "justifier" notre histoire, mais admettre qu'elle a été faite de rapports de force, d'abord défavorables, puis favorables, longuement, et enfin, aujourd'hui, ambigus, faits de notre avance technologique, de la maturité de notre organisation sociale et économique, mais de notre dépendance énergétique. <br /> Les religions constituent un fait présent, mais sans réel avenir, au moins telles qu'elles sont présentées et vécues. On sait par expérience que la haine et les persécutions sont totalement vaines.<br /> Que c'est une affaire individuelle que chaque sujet doit régler seul.<br /> Quand on évalue le nombre de musulmans à partir des noms de famille, on trouve un résultat beaucoup plus élevé que celui d'appartenance déclarée. C'est donc qu'il en existe un certain nombre pour lesquels ce n'est qu'un élément de leur histoire.<br /> De même, nos familles sont un mélange de croyants et de non-croyants.
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L
"Je lui laisse la responsabilité de cette vision lénifiante." <br /> <br /> Moi, je vous laisse la responsabilité de ce mot (lénifiante) à moins qu'il ne soit qu'ironie.<br /> <br /> <br /> Quand j'entend des musulmans ressasser leur ressentiement contre l'Occident en invoquant les croisades je me dis deux choses :<br /> <br /> 1° Ils oublient que le premier agresseur n'a pas été l'Occident mais l'Islam, lequel a commencé, le premier, à conquérir la moitié de l'empire romain, en gros l'empire d'Orient, sur la chrétienté, notamment Constantinople. Les croisades ne sont qu'une tentative de reprendre pied sur un petit territoire pour permettre au péllerins chrétiens d'accéder à Jérusalem qui leur avait été interdit.<br /> <br /> 2° Est-ce que lorsque les Français formulent des reproches à l'encontre de la Grande-Bretagne ils invoquent encore la guerre de cent ans ? Non. Cela nous paraitrait ridicule. Le sens du pardon n'est pas vraiment enseigné par l'islam. Le sens de l'honneur tribal mal placé, lui, n'a pas été éradiqué par cette religion archaïsante, née et propagée par des bédouins du désert mal dégrossis.
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Sceptique
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