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Sceptique
26 janvier 2011

Euthanasie et suicide assisté

Ce sont des questions soulevées par des individus, et posées à leursociété. La société est en mesure de répondre, ou ne l'est pas. Tout indique que notre société, représentée par ses institutions, ne répondra pas, encore cette fois-ci, à la demande de ces individus, toujours plus nombreux, qui font du passage de la vie à la mort une affaire personnelle, et non, sociétale.

L'évolution des sociétés modernes se fait vers toujours plus de liberté individuelle, d'autonomie de décision, de choix du mode de vie, mais,  paradoxalement, vers plus de solidarité, d'obligations, de garanties. Le tendance de l'individu, quel qu'il soit, est d'affirmer ses droits, la liberté qui lui est reconnue. Mais en réponse, la société lui oppose les limites créées par l'existence des "autres", et par la nécessité d'un ordre public garanti à tous. 

"On est en République, je fais ce que je veux", donnait en exemple de l'usage du mot République, le "Petit Robert", dans ses éditions anciennes. La même République fabrique "à tours de bras" toutes sortes de limites, de contraintes, d'obligations, pour faire rentrer le "n'importe quoi" dans le "raisonnable", défini par la prise en compte des "autres", et de l'ordre public qui résulte de cette prise en compte.  

Notre société, par son histoire sociale, politique et religieuse, a toujours, quoi qu'elle en pense, collectivement, un problème avec la liberté. Il n'y a pas de doute que du côté des individus, avant d'être ressentie comme un bienfait de nature politique, elle est confondue avec la licence, sans restrictions ni limites.

Collectivement, la liberté, ainsi confondue avec la licence, fait peur par son aspect prédateur. Et comme sa conception a pris naissance dans un contexte religieux fait essentiellement de devoirs, de limites morales, de comptes à rendre à l'orée d'une deuxième vie, garantie à la conscience, l'usage de la liberté a tout de suite été présenté comme un risque majeur et durable. Notre religion historique nous donne la liberté de conscience, abstraite, mais n'en reconnait aucune autre. "Nous" ne disposons pas de notre vie, notre destin de vivant ne nous appartient pas. Notre corps est au service du créateur. À nous de faire en sorte que son bon usage nous vaille la récompense éternelle.

La contestation maintenant majoritaire de la religion n'en a pas effacé les réflexes inscrits en nous depuis vingt siècles. Notre société laïque a récupéré l'essentiel de ses valeurs, et celles-ci conservent leurs aspects positifs, au service de la convivialité, au delà de leur statut de devoirs. Elles restent constitutives, pour la grande majorité des membres de la société, de ce que la psychanalyse a défini comme le surmoi (ce que je dois être) et l'idéal du moi(ce que je préfère être). L'intérêt collectif de ces valeurs n'est pas discutable. Plus elles sont représentées et partagées, meilleur est le fonctionnement de la société.

Mais la force de ces valeurs collectives permet de comprendre la difficulté de répondre à des demandes individuelles de libre disposition de ce phénomène qu'on appelle la vie. Surtout quand elles impliquent l'assistance de sujets sollicités pour leur compétence, médecins ou infirmières. Car si un individu en pleine possession de ses moyens physiques n'a besoin de personne pour mettre fin à sa vie (y compris en dérangeant un bon nombre d'autres humains), ceux qui sont concernés par l'éventuelle liberté de les euthanasier ou de les aider à mettre fin à leurs jours (suicide assisté) sont arrivés à un niveau de faiblesse par dégradation de leur corps, qui rend indispensable l'assistance d'un tiers. Ces "tiers" ont le plus souvent un problème de conscience, et ce n'est donc qu'un tout petit nombre qui accepterait d'aider les candidats à l'action de mourir. Leur rareté les conduirait nécessairement à devenir "spécialistes" de ces actes, c'est à dire à passer de l'exception individuelle au service collectif.

C'est la création de ce nouveau métier que redoutent nos responsables politiques. La tolérance dont bénéficient le plus souvent les auteurs ponctuels de ces assistances, dès lors que la société en a connaissance, reste aléatoire, car cette tolérance ne peut être inscrite dans la Loi. Elle ne dépend que de la conscience des juges et des jurés. 

Son inscription dans la loi serait définitive et irréversible. Elle le sera un jour, par la poussée de la demande  plus forte que la résistance, et d'autres sociétés ont déjà franchi ce pas sans que la liberté se révèle dévastatrice. Notre société est sûrement parmi les plus conservatrices, les plus longues à accepter de nouvelles libertés individuelles. Elle se cramponne à l'offre de soins palliatifs, à l'abandon de l'acharnement thérapeutique, qui relèvent de la société, mais ne répondent pas au jugement d'individus sur la qualité et l'intérêt de ce qui leur reste à vivre.

Sceptique

Note du 12 Août 2011: l'affaire de l'urgentiste de l'hôpital de Bayonne, dénoncé par le personnel de son service, mis en examen pour ses actes, passibles de la perpétuité, comme se sont empressés de l'annoncer nos médias, mais finalement laissé en liberté avec contrôle judiciaire, est une parfaire illustration du débat intense qui a suivi ce billet. Le médecin a agi par compassion ou par raison. Les propos du ministère publics vont au delà du nécessaire, les commentaires des médias sont écoeurants.

Il faudra légaliser, tôt ou tard, ces gestes demandés par des patients ou leurs familles. CQFD

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Commentaires
L
Et le juge a prononcé un non-lieu. C'est très bien ainsi. Les personnes mises en cause ont eu a s'expliquer devant la justice des hommes, laquelle a décidé de ne pas les poursuivre.
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S
Il me semble que dans l'affaire Humbert, le médecin qui a accompli le geste a du comparaître en même temps que la mère. Publicité, presse racoleuse, frais d'avocat, il a été éclaboussé, en même temps qu'estimé pour son courage.
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L
Pour le moment, des juges zélés, on n'en a pas trop vu dans ce genre d'affaire. Le meilleur moyen d'empêcher des dérives c'est que les soignants soient passibles de la justice, ça les incite à peser leur acte.
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S
Il y aura toujours le risque d'un témoin dénonciateur et d'un juge zélé.<br /> Donc, il sera préférable d'aboutir à une législation admettant et encadrant ces actes. Des modèles satisfaisants existent. "Notre" obstacle est culturel.<br /> Mais il ne pourra être question d'obliger qui que ce soit à le faire.
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C
@LB - Vous comprenez mal... L'euthanasie était comme l'avortement : pratiquée mais réprimable à tout moment, et donc, à mon point de vue il était indispensable de légiférer (je ne parle pas des possibilités d'abus pour raisons d'héritage ou parce que la famille en avait assez de se soucier de leur cher grabataire). Mais je ne peux pas non plus accepter qu'on *oblige* un praticien à procéder à une euthanasie, pas plus qu'on ne peut les *obliger* à pratiquer un avortement, et ce tout d'abord par fidélité à mon libéralisme, et de manière plus prosaïque parce qu'une opération menée sous la contrainte risque d'être très mal accomplie...
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Sceptique
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