Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sceptique
10 mai 2011

Le Promeneur du Champ-de-Mars

Je découvrais hier soir, sur Arte, le film de Robert Guédiguian, le Promeneur du Champ-de-Mars, reconstituant, à partir du livre de Georges-Marc Benhamou, les derniers mois de la vie de François Mitterrand. Après ce qu'en a dit son neveu Frédéric Mitterrand, reçu au Grand Jury Dimanche soir, des éléments essentiels de la personnalité de l'unique Président socialiste de la Vème République, surgissaient.

Si Michel Bouquet était le meilleur acteur possible pour faire revivre François Mitterrand, sa bonhomie souriante ne devait pas correspondre à la réalité du personnage, réputé hautain et froid. Tout ce qu'on peut découvrir, ou confirmer, à propos de François Mitterrand, c'est ce qu'en recueille son historiographe, et les "états d'âme" que ce dernier endure tout au long de cette mission. L'histoire de François Mitterrand, c'est celle qu'il a enregistrée lui-même, dont il ne démord pas, se fâchant à la moindre insistance ou question inopportune de celui auquel il a confié cette mission.

Deux questions essentielles restent sans réponse. Comment cet homme issu de la bourgeoisie aisée, cultivée et imprégnée de catholicisme dans sa meilleure version, celle qui met au sommet des valeurs la charité, a pu devenir le plus grand dénominateur commun d'une gauche depuis toujours très hétérogène, par ses origines et ses élaborations idéologiques? Comment a-t-il pu effacer, annuler, refuser d'assumer, son passage par Vichy, la fréquentation, amicale,  de quelques serviteurs de l'État français, avant de connaître son "chemin de Damas" et d'entrer dans la Résistance? Prendre conscience de son erreur, changer d'engagement dans l'action, relèvent des qualités d'un homme, et non de ses faiblesses. La conscience des erreurs, des remords ou des regrets, font partie du jardin secret, de ce dont on ne se vante pas. Mais falsifier sa propre histoire, anti-dater une photo, renier des relations avec des hommes ayant servi jusqu'au bout ce régime, et pour finir, affirmer que Vichy fut un non-événement, un "blanc" de l'histoire de France, parait difficile à admettre. Cela fut manifestement possible à François Mitterrand. Ceux qui l'aiment l'accompagnent. Ceux qui aiment la vérité souffrent, ou mettent un mouchoir dessus.

Bien sûr, l'enjeu de cette époque historique, admettre notre défaite écrasante, reconnaître l'humanité du sauve-qui-peut, ou au contraire, la refuser, la nier, la réduire à une péripétie fâcheuse, "délirer" sur la victoire qui ne manquera pas d'effacer l'humiliation militaire et politique, a séparé pour de bon les acteurs de l'Histoire. Ceux qui ont eu raison avec quatre ans d'avance ont un avantage sur ceux qui ont eu besoin de mûrir leur jugement et leur décision. La parabole des ouvriers de la onzième heure ne marche pas dans ce cas précis.

Ce que François Mitterrand en dit, c'est son recours à la "passion de l'indifférence". Indifférence à ce que les autres disent, à l'occasion, ou de manière insistante. Son histoire, c'est lui qui l'a faite, et il s'en tiendra là. L'eau du bain suivra le même sort que le bébé renié.

Mais la logique qui résulte de ce choix, c'est la haine de la droite, qui a vu en Pétain et Vichy les réparateurs des méfaits du Front Populaire, responsable inconscient du désastre. La droite refuse de renier cette tranche de notre histoire dont, précisément, elle ne veut pas endosser les prémices. L'Histoire a donné raison à De Gaulle et à la Résistance? Se rallier à la raison, même un peu tard, ou carrément après coup, est....raisonnable. François Mitterrand ne veut pas se commettre avec ces raisonnables là, trop "ordinaires".  

Refuser la droite pour incompatibilité de logiques, ne laisse pas d'autre choix à un homme ambitieux, qui croit en lui sans le moindre doute, que d'utiliser la gauche pour parvenir à ses fins. Seulement, la gauche est, encore plus que la droite, un éventail multicolore, qui se tient ouvert en permanence, faisant de la résistance à son rassemblement sur une seule épaisseur. François Mitterrand a réussi ce coup, une fois seulement, en Mai 1981, mais ce fut la bonne. Le Parti Socialiste, force principale de l'Union de la Gauche, ne peut qu'effacer ses griefs et critiques, et rendre hommage à son sauveur. Les autres parties de l'éphémère rassemblement sont d'une discrétion exemplaire.

Le problème de la gauche, c'est de ne pas partager avec son héros la "passion de l'indifférence"! Pas du tout! Elle récuse, tout en rendant hommage à l'Unique, l'idée même de l'homme providentiel. Seule, dans ce camp, Ségolène Royal, admet l'existence et la nécessité d'un rassembleur unique et identifiable. Mais c'est elle-même qu'elle voit pour ce rôle, réveillant chez tous ses rivaux leur jalousie, enrobée du beau principe. François Mitterrand n'a jamais, selon mon souvenir, laisser apparaître son désir de pouvoir. Il "avait fait don de sa personne" à l'Union de la Gauche! 

Dans le film, "François Mitterrand" se voit comme le dernier Président digne de cette appellation. C'est dire la considération qu'il avait pour les jeunots des deux bords. Il percevait aussi les effets de l'union de l'Europe et du nécessaire effacement devant cette instance supra-nationale. Comment être un grand Président dans le 27ème d'un ensemble?

La solution adoptée par Nicolas Sarkozy a été d'être le Père Fouettard de la cohorte, l'empêcheur de dormir en rond. Il lui a fallu une énorme énergie, une omni-présence, et ce n'est pas encore fini. Aux dernières nouvelles, les électeurs français le trouvent toujours "fatigant". Mais face à la promesse d'une anesthésie générale, ils pourraient hésiter.

Sceptique 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
S
Les faits ne sont pas concrets OU symboliques. Ils peuvent être les deux, pour tout le monde, ou concrets pour les uns, symboliques pour les autres.<br /> Au coeur du désastre de Mai-Juin 1940, la vision mondiale de De Gaulle, sans précédent dans l'Histoire, paraissait délirante à ceux qui étaient sur le terrain. Pendant les deux premières années Vichy fut approuvé par la majorité des français parce qu'il avait mis un terme à la débâcle, à l'exode. Il représentait la solidarité de la politique avec les français, occupés, ou seulement humiliés. Cette France vaincue était sévèrement surveillée par ses occupants et leurs commissions d'armistice. Rien, dans l'environnement européen et mondial, ne laissait entrevoir un retournement à court terme de la situation. Et à Vichy, les sympathisants du nazisme et du fascisme prenaient les leviers de commandes, préparaient la vraie collaboration.<br /> L'entrée en guerre, forcée, des américains fut ce tournant, sans effet immédiat autre que l'expansion japonaise dans le Pacifique. Mais en moins d'un an, la coalition anglo-américaine fut capable de prendre pied en Afrique du Nord, dont la défense était confiée à...la France désarmée! Passé l'effet de mauvaise surprise, les responsables français comprirent que l'histoire de la guerre avait pris un tournant. L'armée française, réarmée par les États-Unis, se remit en campagne.<br /> J'ai beaucoup étudié le phénomène Jeanne d'Arc. Débarrassé de son côté hagiographique, c'est une histoire humaine extraordinaire, pour l'époque.
Répondre
L
Ah oui, dans ma liste j'ai oublié la prise de la Bastille, présentée comme opération de libération populaire, alors que ce fut un massacre d'une félonie et d'une barbarie rares.
Répondre
L
"L'Histoire, selon moi, dot se boire jusqu'à la lie. Je suis agacé par ses manipulations, par addition ou soustraction, ou par accaparement."<br /> <br /> En principe on ne peut qu'être d'accord.<br /> <br /> Cependant l'histoire de France est une vaste légende dont nous sommes tous les héritiers et dont les épisodes empruntent à la réalité vraie : nos ancêtres les Gaulois, la France fille aînée de l'Eglise, Jeanne d'Arc libératrice, la Terreur, cette horreur préfigurant les totalitarismes criminels du XXème siècle, imputée à la guerre contre les coalisés, on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs, n'est-ce pas, etc.<br /> <br /> Vichy fut bien une réalité, et il est clair que De Gaulle qui s'est élevé contre ce régime dès son origine, et Mitterrand, qui l'a servi quelques temps* à un niveau relativement subalterne, le savaient bien. Mais pour eux, Vichy n'était pas la France éternelle, n'était pas la France légitime, n'était pas la France légale, c'était la trahison de la France.<br /> <br /> Bien à vous.<br /> <br /> *Il y en eut d'autres qui, comme lui, ayant ouvert les yeux avant la onzième heure,risquèrent leur vie et furent reconnus comme de grands résistants, ce que fut aussi Mitterrand.
Répondre
S
Assez vieux pour avoir vécu ces événements, à l'abri de la vraie guerre, au Maroc, et assez mûr pour en avoir ressenti la gravité, je ne peux considérer Vichy comme un "non-événement". C'était sûrement une illusion, en raison de la pression du vainqueur et de la veulerie des hommes politiques qui se précipitèrent sur l'aubaine, mais elle a été un fait pendant plus de deux ans pour les français d'AFN, et, aussi, pour ceux de la zone libre. On ne peut effectivement pas parler "d'erreur" pour son maintien au delà de l'occupation totale du pays. Vichy était déjà solidement tenu par les ultra-collaborationistes, ralliés à la cause nazie.<br /> L'Histoire, selon moi, dot se boire jusqu'à la lie. Je suis agacé par ses manipulations, par addition ou soustraction, ou par accaparement.
Répondre
L
De Gaulle et Mitterrand étaient d’accord sur un seul point : "Vichy fut un non-événement, un "blanc" de l'histoire de France". Enfin disons plutôt que Vichy, à leurs yeux, ne fut pas la France. Question de génération.<br /> <br /> Je n'ai pas vu le film de Guédiguian et compte tenu de sa filmographie, n'en ai guère l'envie. <br /> <br /> Le documentaire sur l'histoire de Mitterrand et de sa maladie, de 1981 jusqu'à sa mort, vu ce soir sur la chaine "Histoire", en dit certainement plus sur la personnalité hors du commun de cet homme.<br /> <br /> Aussi, ce que raconte Marguerite Duras dans "La douleur". Mitterrand apprenant, à la libération des camps, où était Robert Anthelme, membre du réseau de résistance dont il était le responsable, déporté, part le chercher dans une invraisemblable odyssée automobile, le ramène en France en dépit de tous les règlements militaires et civils, et lui sauve ainsi très vraisemblablement la vie, qu’il aurait sans doute perdue dans les infirmeries des Alliés. <br /> <br /> La personnalité de Mitterrand c’est ça avant tout : la fidélité aux êtres, qui lui a souvent coûté politiquement (Hernu et le Rainbow Warrior, René Bousquet). La fidélité aux idées, à côté de ça, c’est de la bibine.<br /> <br /> Bien à vous.
Répondre
Sceptique
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité