Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sceptique
26 juin 2011

Bernard Tapie et notre foutu* état de droit

Bernard Tapie était un bon copain de ceux qui, en 1981, avaient nationalisé les banques, et y avaient installé d'autres...copains. 

Normalement, les amis de nos amis sont nos amis. Hélas, que ce soit en politique ou en affaires, l'amitié est précaire et révocable.

Quand Bernard Tapie, devint Ministre du gouvernement de Pierre Beregovoy, en 1992, il dut confier au Crédit Lyonnais la vente de "ses" affaires**. La banque eut du mal à trouver preneur pour Adidas, mais finit par lui trouver un acheteur dans des conditions....troubles. Une fois dans l'escarcelle d'une société à laquelle la banque participait, Adidas reprit des couleurs et une magnifique plus value.

Entretemps, le Crédit Lyonnais, pour cause d'investissements hasardeux, s'est trouvé en situation de faillite***, et son actionnaire, l'État, a du faire le ménage dans ses comptes. Pour cela, il a créé une poubelle spéciale, appelée CDR (Consortium de Réalisation), chargé d'inventorier les avoirs douteux et de les vendre au mieux. Parmi ces avoirs, il y avait encore Adidas, le fabricant de chaussures de sport, allemand de naissance, et devenu une des plus belles conquêtes de Bernard Tapie.

Quand Bernard Tapie, ruiné, obligé de "faire" l'acteur de téléfilms pour subsister, s'aperçut que "son" Adidas avait été revendu pour une somme qui aurait couvert toutes ses dettes, et dont seul le CDR vit la couleur, il "grimpa aux rideaux". Ce fut une longue série de procès "au civil". Première instance, appel, et, enfin, cassation. De part est d'autre "on" s'obstinait, et entre la complication du dossier, la lenteur proverbiale de notre justice, et l'inimitié qui avait remplacé l'amitié, "on" était parti pour longtemps, pour des années. Tapie ne récupérait, ni son honneur, ni ses sous.

C'est alors que Christine Lagarde, Ministre des Finances d'un gouvernement nommé par Nicolas Sarkozy, accepta la proposition, faite par les liquidateurs des affaires de Bernard Tapie, d'une Commission d'arbitrage formée de juristes éminents (un magistrat et deux avocats) pour débrouiller l'affaire et prendre une décision acceptable pour les deux parties. Cette procédure est admise entre plaideurs privés, mais elle n'était pas prévue pour les affaires impliquant l'État, réelle partie prenante au moment des faits, et Bernard Tapie, encore en vie. Au nom de l'intérêt de l'État, la Ministre passa outre à ce vide juridique. Oh, scandale, la dite Commission d'Arbitrage donna raison à la victime et se prononça pour un dédommagement substantiel avec "pretium doloris", la douleur visée ayant été morale.

Qui avait fait souffrir, moralement, Bernard Tapie? Les amis des amis du Parti Socialiste d'aujourd'hui, comprenant encore beaucoup d'anciens qui avaient pratiqué "l'abraço"**** à Bernard Tapie, leur ami et collègue, puis, en bons petits soldats, l'avaient renié. 

Accepter la décision de la Commission d'Arbitrage équivaut, pour eux, à reconnaître implicitement leurs torts envers leur "ami". C'est pourquoi "Ils" mettent tant d'acharnement à jouer les douairières prudes, choquées à la fois par le fond( les torts faits à Tapie, qu'il nient) et le fond (la procédure simplifiée pour en finir avec cette arnaque faite au profit de l'État).

Et ce n'est pas en cette période de campagne présidentielle qu'il faut lâcher le morceau! Faire croire au bon public, qui en grande majorité, n'a pas aimé l'ascension fulgurante du Bernard Tapie, croqueur d'entreprises en difficultés, disponibles à des prix de braderie, et a applaudi à sa faillite, qu'il a profité de la complicité de Sarkozy pour se refaire, pourrait "consolider" quelques voix destinées à l'opposition.

Quant aux torts cumulés par l'actuelle opposition quand elle était au pouvoir, ils sont, eux, bien sagement oubliés.

Finalement, l'État de droit a du bon, à condition de posséder la majorité, ce qui fut le cas, pour le PS, en 1981, 1988, et 1997, et si Bernard Tapie avait été éliminé par des spadassins, il n'aurait pas cette utilité présente!

Sceptique

*Si j'ajoute cet adjectif incongru, c'est que dans cette affaire, le "droit" "fait mal" aux anciens "amis" de Bernard Tapie. La douleur morale est ce coup-ci de leur côté.

**Le métier de Bernard Tapie, chef d'entreprise, n'était pas compatible avec ses fonctions de Ministre. Il fallait qu'il vende ses affaires.

***L'exemple d'un État devant constater la faillite d'une de ses propriétés est, à ma connaissance, unique.

****"abraço": nom brésilien de l'accolade, en usage courant dans au Brésil, alors que la poignée de mains l'a remplacée chez nous. Sauf si on est très copains.

Note additionnelle: ce billet est inspiré par le titre "gras" du "Monde", devenu l'organe quasi officiel de l'opposition, daté du 23 Juin 2011, qui salue la nouvelle plainte déposée par le procureur de Paris. "No comment!"

Note complémentaire: Le "Monde", reprenant un "lièvre" soulevé par Médiapart, à savoir un doute sur l'indépendance d'un arbitre du fameux tribunal arbitral, met la désignation de Monsieur Pierre Estoup sur le compte de la Ministre, et pointe que cet ancien magistrat aurait auparavant participé à des arbitrages avec Me Lantourne, un des avocats de Bernard Tapie. Ipso facto, le dit arbitre roulait pour Bernard Tapie.

Mais l'autre arbitre, Me Jean-Denis Bredin, appartient, par alliance, à la famille socialiste. Je ne douterais absolument pas de son impartialité et de sa conscience professionnelle.

Ce qui n'est pas mentionné dans le compte-rendu d'exhumation de l'affaire, c'est qu'à chaque étape du parcours judiciaire, les tribunaux ont donné tort au CDR et l'ont condamné à indemniser Bernard Tapie à des niveaux croissant avec l'ancienneté du litige. La possibilité d'appel ou de cassation pour les plaideurs qui en ont les moyens renvoyait toujours plus loin la décision définitive....qui n'avait pas de raisons d'être à l'opposé des précédentes. La décision du Tribunal d'arbitrage a auguré de celle qu'une Cour de justice aurait prise dans deux à trois ans.

Sceptique 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Sceptique
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité