MARIAGE ET ADOPTION POUR TOUS.
Je n'arrive pas à vibrer contre cette cause, ni pour, non plus. Je la trouve futile dans le contexte économique et géo-politique que nos sociétés "occidentales" traversent. À son origine, une demande d'annulation de tout le langage qui établit une différence entre les choix sexuels et les filiations. La demande d'une novlangue administrative et juridique, qui irait jusqu'à la disparition, dans les actes, des concepts de père et de mère*.
Énorme pari, si on y réfléchit bien. Mais, à la lumière des expériences précédentes de manipulations politiques de la langue, jouable. Après tout, toute langue est arbitraire dans son principe. Comme Monsieur Jourdain, on fait de la prose sans le savoir. La sacralisation d'une langue est en soi, stupide. "Elle" se défend toute seule, par son usage, et sa production écrite, la littérature. Si l'aptitude à la parole a une racine biologique, la langue, elle, n'en a pas. Elle constitue une convention entre ceux qui la pratiquent. Elle ne meurt pas, elle est parfois abandonnée.
Toute convention qu'elle soit, la langue est indissociable de l'humanité, et le socle de toute culture. Tous les handicaps qui touchent cette fonction sont lourds et peuvent avoir des conséquences graves sur les relations parents-enfants, sur la socialisation de l'enfant. On peut donc comprendre les inquiétudes, les grandes peurs, qui surgissent dès qu'on veut toucher à l'ordre langagier établi. Qui a raison? Ceux qui pensent que les mots n'ont pas d'importance et qu'on peut en changer comme de chemise, ou ceux qui les "gravent dans le marbre" et ne veulent pas en changer, oubliant qu'ils ne parlent pas tout à fait la même langue qu'il y a un siècle?
"Les deux, mon général". Le monde, la société, sont vivants, évoluent, inventent, découvrent, alternent les phases de changement et de stabilité. Les sociétés-dites-modernes acceptent le principe du changement, de la remise en cause de leur fonctionnement à un moment donné, et, surtout, "lâchent la bride" à l'expression des individus qui la composent. La société est pour les individus, et non le contraire. Ce qui n'est pas sans inconvénients, dans les phases de transition, surtout. Au "si Dieu n'existe pas, alors, on peut faire ce qu'on veut"(Dostoievski), succède:"Si la société n'existe pas, on peut faire ce qu'on veut." C'est prendre l'effet pour la cause.
On est quand même, sur cette question, en plein dans ce rapport entre société et individualité. L'homosexualité est un choix individuel, qui ne s'embarasse pas du "destin" fixé par la biologie. Laquelle, par contre, s'oppose à la satisfaction du désir d'enfant. Il faut aller le chercher ailleurs, dans l'adoption, la fécondation par don de sperme, la grossesse par mère porteuse. Ce qui pose des problèmes éthiques....et financiers....donc, éthiques, encore.
Mais c'est surtout l'après qui préoccupe l'opinion. Quel sera le vécu d'un enfant élevé par deux hommes ou deux femmes? Parviendra-t-il à se retrouver dans ce cadre affectif? Sera-t-il libre de choisir sa propre orientation sexuelle au moment où la question se posera pour lui? La relative nouveauté de la situation ne fournit pas aux responsables politiques des données sûres sur les conséquences de ces modèles de famille (homosexualité féminine ou masculine).
Les spécialistes des troubles psychiques des enfants ont, bien sûr, été consultés par les parlementaires. Ils ne donnent pas tous la même réponse, basée sur de mêmes arguments. Ils sont cependant en majorité inquiets de ce bouleversement, la formation d'une personnalité leur paraissant dans la continuité de la filiation biologique "normale" d'une mère et d'un père, le langage renforçant l'évidence. Que se passera-t-il quand les mots de père et de mère disparaitront, du langage administratif, au moins?
Je n'en ai entendu qu'un se disant favorable à la loi, et mettant au premier plan la stabilité du couple parental comme facteur de sentiment de sécurité affective, essentiel à la maturation harmonieuse de l'enfant, qui s'accommoderait aisément des particularités des adultes qui s'occupent de lui.
De toute façon, il semble bien que ces consultations préalables n'aient pas bénéficié d'une écoute particulière, et modifié les convictions des partisans du "mariage pour tous". La loi du nombre, de la majorité, s'imposera. Les avis des experts, les manifs des opposants n'y changeront rien.
Notre société est elle en perdition d'être trop libérale, de n'être qu'une enveloppe confortable pour des individus égoïstes et jouisseurs? Cela fait cinquante ans qu'on le dit, cinquante ans qu'on fait le catalogue des expressions de mépris, cinquante ans que des victimes de la tradition pure, dure, et divine, viennent y respirer. Le retour de cette dernière, endogène ou exogène, n'est pas crédible, car "elle" ne manque pas à ces sociétés modernes.
Sceptique
*Christiane Taubira, Garde des sceaux, s'est exprimée très clairement, hier soir, sur ce sujet. Elle a affirmé qu'il n'y aurait aucune modification des termes pour les couples hétérosexuels. Ceux de "père", et "mère" seront conservés. Il y aura donc un livret de famille spécial pour les couples homosexuels, avec ces fameuses mentions de "parent 1", et "parent2". Par ailleurs, elle a rappelé que la Constitution ne prévoyait pas la possibilité d'un Référendum pour un tel sujet. Le débat réclamé par les opposants se passera au Parlement.